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Nous aurions pu penser – plus de neuf mois dans la pandémie de covid-19 – que nous en avions fini avec les modèles épidémiologiques qui envisageaient les pires scénarios de contagion et de mortalité. Contre toute attente, certains économistes produisent encore rétroactivement des modèles prédictifs comme celui du CREATE, et trouvent de surcroit des journalistes pour célébrer un sauvetage de vies largement imaginaire et pour proclamer la victoire économique du Québec sur la Suède – pays qui a privilégié la distanciation sociale libre plutôt que le confinement.
Au début de la pandémie, toutes les spéculations étaient recevables, des plus optimistes aux plus pessimistes. En absence de données historiques factuelles, les modèles prédictifs étaient alors ce dont les autorités publiques disposaient de mieux pour évaluer le risque sanitaire et donc l’effort de prise en charge qu’il représentait.
Par ailleurs, chaque gouvernement devait aussi faire avec le système de santé dont il avait hérité de ses prédécesseurs, tant du point de vue de la préparation à une épidémie éventuelle que de la capacité locale de soin (médecins, infirmières, lits d’hôpitaux, services de réanimation, situation de vie des aînés, etc.) au moment de son apparition.
Depuis, l’histoire est passée. L’avantage d’une pandémie mondiale est la grande diversité des réponses gouvernementales à la crise sanitaire. C’est un formidable laboratoire « in-vivo » de la gestion de crise permettant de juger a posteriori de ce qui a bien marché (qui était mieux adapté au profil de la maladie) et de ce qui a moins bien marché.
L’accumulation des faits et leur communication globale quasi instantanée ont vite permis d’appréhender avec précision la réalité du risque, et les prévisions les plus pessimistes se sont trouvées invalidées. Le Center for Disease Control a par exemple annoncé dès le mois de mai que le taux de mortalité moyen des personnes infectées était plutôt entre 0,2 % et 0,3 % et non de 3,4 %, comme avancé par l’OMS au début de la pandémie.
Un autre fait essentiel s’est fait jour : ce virus discrimine énormément les populations âgées, ainsi que celles déjà atteintes de maladies graves (comorbidité) et celles dont le système immunitaire est amoindri. En dessous de 60 ans, le risque que cette maladie soit pire que la grippe est quasi nul. Au Québec, 97,6 % des décès attribués à la covid-19 concernent les plus de 60 ans.
Avec ces quelques faits en main, et sans même tenir compte des conséquences négatives du confinement sur la santé des citoyens (dépressions, surdoses, suicides, chirurgies et chimiothérapies repoussées, etc.), il est facile de voir que le confinement des enfants et des personnes en âge de travailler n’a produit aucun bénéfice sanitaire tangible. On s’attendrait donc à ce que cette stratégie soit définitivement discréditée, sans nécessiter plus de remords ni de regrets.
L’étude récente du CREATE auquel le journaliste se réfère est de ce point de vue au minimum anachronique. Certes, ses auteurs prennent soin de préciser qu’elle ne tient compte ni de la comorbidité, ni du milieu de vie (CHSLD) des victimes modélisées, et aussi que les décès de leur modèle sont inférieurs à la réalité. Il n’en reste pas moins que leur choix de s’en tenir aux données économiques du premier trimestre 2020 pour modéliser le manque à gagner du confinement strict par rapport à la distanciation sociale est répréhensible. Les effets du confinement portent essentiellement sur le second trimestre, et les données officielles sont disponibles. De la même manière, leur choix d’écarter le coût économique futur du déficit créé par les mesures d’aide d’urgence est incompréhensible.
Pour reprendre la comparaison avec la Suède, qui présente effectivement l’intérêt d’avoir une population légèrement supérieure à celle du Québec (10,23 millions contre 8,57 millions) et une gestion de crise très contrastée avec ce dernier, le nombre de décès attribué au covid-19 est de 5918 contre 6044 pour le Québec. C’est à se demander où sont les milliers de vies perdues qu’un confinement strict aurait – selon la logique du modèle épidémiologique québécois – sauvé en Suède. Quant à la comparaison de l’effet économique, le PIB de la suède a reculé de 8 % au deuxième trimestre 2020, et celui du Québec de 40 %.
Bien malin, celui qui aurait pu deviner le profil de la covid-19 en janvier ou février 2020. Bien aveugle, celui qui refuse d’accepter la réalité des faits neuf mois plus tard.
Gaël Campan is Senior Economist at the MEI. The views reflected in this op-ed are his own.