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Un membre du Groupe de travail sur les vaccins contre la COVID-19 démissionne – LE DEVOIR

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Photo: Indranil Mukherjee Agence France-Presse Le Groupe de travail sur les vaccins contre la COVID-19 se compose notamment de 12 experts en vaccinologie et en immunologie, de même qu’en mise au point et en commercialisation des vaccins.

Pauline Gravel

Le Groupe de travail sur les vaccins contre la COVID-19 a perdu une sommité canadienne du domaine de la vaccination, a appris Le Devoir. Le chercheur Gary Kobinger, reconnu pour avoir mis au point un vaccin efficace et sécuritaire contre le virus Ebola, s’est retiré de ce comité en raison de son malaise relativement au manque de transparence des membres du groupe et aux recommandations que le comité a formulées au gouvernement du Canada.

Le Groupe de travail sur les vaccins contre la COVID-19 se compose notamment de 12 experts en vaccinologie et en immunologie, de même qu’en mise au point et en commercialisation des vaccins. Ce comité a pour mandat de conseiller le gouvernement du Canada sur « les stratégies à adopter pour offrir aux Canadiens des vaccins contre la COVID-19 qui soient sûrs et efficaces », précise le service des relations avec les médias d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada (ISDEC). Notamment, le groupe recommande au gouvernement du Canada les vaccins qui lui apparaissent les plus prometteurs et les plus pertinents pour la population canadienne.

Le service des communications d’ISDEC a confirmé au Devoir que « toutes les ententes d’achat anticipé annoncées jusqu’à présent visent des candidats-vaccins recommandés par le Groupe de travail ». Ce dernier avait recommandé au gouvernement les candidats-vaccins de Novavax, de Moderna, de Johnson & Johnson et de Pfizer (voir encadré).

Directeur du Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval, professeur adjoint au Department of Pathology and Laboratory Medicine de l’Université de Pennsylvanie et professeur associé au Department of Medical Microbiology, Gary Kobinger faisait partie du Groupe de travail sur les vaccins contre la COVID-19 jusqu’à ce qu’il décide de s’en retirer, il y a quelques semaines. « J’ai accepté de faire partie de ce comité tout en sachant bien que mon équipe ne pourrait se porter candidate pour recevoir des subventions des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Je l’ai fait parce que je trouve que c’est plus important de servir les Canadiens et de conseiller le gouvernement relativement à la vaccination, d’autant plus qu’il y a de grosses compagnies pharmaceutiques en jeu. Mais, voyant le manque de transparence, voyant que mes conseils ne servaient à rien et n’allaient nulle part, et que mon nom serait associé à des recommandations complètement opposées à mes convictions, j’ai décidé de partir », a déclaré au Devoir M. Kobinger, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en immunothérapie et en plateformes vaccinales innovantes.

Le chercheur réclamait plus de transparence de la part du comité. Il aurait souhaité, notamment, que les conflits d’intérêts de tous les membres soient révélés publiquement. « Je ne remets pas du tout en question les compétences des membres du comité ; ce sont des gens fantastiques qui ont beaucoup d’expertise. J’ai dit au secrétaire du groupe qu’il était bien correct que les membres fassent part de leurs conflits d’intérêts à leurs pairs qui font partie du comité, ainsi qu’au gouvernement [comme cela est désormais prévu dans les règlements du groupe]. Mais ce n’est qu’un minimum. Pourquoi ne pas les rendre publics ? Pourquoi aussi ne pas rendre les discussions du groupe publiques ? [selon les règlements actuels, elles doivent rester confidentielles] », fait-il valoir.

Le 5 septembre dernier, Global News dénonçait justement le fait que les membres du groupe ne soient pas tenus de déclarer au grand public leurs conflits d’intérêts. La codirectrice du Groupe de travail, la Dre Joanne Langley, qui est professeure à la Dalhousie Medical School d’Halifax, répondait à cette critique sur CBC en faisant valoir que les membres du groupe travaillent sur ce comité bénévolement et qu’« il n’est pas courant de demander à des bénévoles de déclarer leurs conflits d’intérêts publiquement ». Or, l’Université Dalhousie, pour laquelle la Dre Langley travaille, a reçu des fonds de Novavax, Pfizer et Janssen, une filiale de Johnson & Johnson, trois firmes avec lesquelles le gouvernement du Canada a signé des ententes pour réserver des doses de leur vaccin.

« Il est très difficile de trouver des experts renommés dans le domaine de la vaccination qui n’ont pas de conflits d’intérêts. Il n’est pas rare de voir un chercheur être lié à trois, voire quatre compagnies pharmaceutiques. Il n’est donc pas surprenant que des membres du comité aient des conflits d’intérêts, ce qui l’est est le fait que les membres qui ont des liens avec l’industrie ne les déclarent pas publiquement », fait remarquer Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« C’est vrai que les comités-conseils peuvent ne pas avoir à déclarer publiquement leurs conflits d’intérêts, sauf entre membres du comité et au gouvernement. C’est vrai, mais quand il n’y a pas autant d’argent en jeu. Dans ce cas-ci, où le comité fait des recommandations au gouvernement qui, deux semaines plus tard, signe de grosses ententes de plusieurs millions avec des compagnies, c’est une situation inhabituelle, qui exige énormément de clarté », affirme-t-il. « Une simple divulgation, tout en précisant qu’il est tout à fait normal que ces gens soient liés à l’industrie pharmaceutique, car il aurait été impossible de trouver un groupe d’experts ayant de l’expérience dans ce domaine, rassurerait les gens. »

« J’avoue que cette situation laisse place à interprétation pour le grand public. Si les conflits d’intérêts étaient tous déclarés publiquement, on éviterait ce problème-là », ajoute l’immunologiste André Darveau, vice-recteur de l’Université Laval.

« Des gens [en vaccination] qui n’ont pas de conflits d’intérêts, ça n’existe pas. Il faut simplement les déclarer, ces conflits d’intérêts !, lance Gary Kobinger. En ce moment, les gens commencent à se méfier, et il n’y a rien de pire que ça. Au bout du compte, on va peut-être avoir un excellent vaccin, mais il n’y aura que 20 % des gens qui voudront le recevoir parce qu’ils auront l’impression qu’il y a des magouilles. »

Kobinger milite aussi pour que quelques journalistes puissent assister aux discussions du comité, comme cela se fait dans les réunions auxquelles il participe comme membre du comité consultatif technique et stratégique en risques infectieux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « C’est le niveau de transparence qui, je crois, est nécessaire, tout particulièrement pour les vaccins. Les gens doivent savoir quels sont les conflits d’intérêts des membres, mais aussi comment les décisions sont prises », estime-t-il.

M. Kobinger a quitté le groupe de travail aussi parce que les recommandations que le comité adressait au gouvernement étaient aux antipodes des siennes. « Dans les discussions, on a des points de vue différents et c’est la beauté d’un comité ; tout le monde n’est pas d’accord tout de suite. On discute pour, en bout de ligne, arriver à un consensus, ou sinon les recommandations retenues sont celles d’une majorité », dit-il.

L’expert aurait souhaité que les technologies vaccinales recommandées soient « plus diversifiées » et « plus équilibrées entre des plateformes expérimentales, comme les vaccins à ARN [ceux de Moderna et de Pfizer], dont il n’existe aucun produit sur le marché, et des plateformes qui existent déjà et qui ont déjà donné des vaccins efficaces et très sécuritaires, comme les vaccins à particules pseudo-virales, ou VLP (virus like particle), dont le vaccin contre le VPH, qui est un des plus gros succès de la vaccination [depuis plus de 60 ans] », pense M. Kobinger tout en précisant qu’il collabore avec Medicago, de Québec, qui planche sur un vaccin VLP produit par des plantes. « Ce n’est pas la compagnie qui m’importe, mais bien la plateforme, insiste-t-il. Il y a d’autres compagnies qui préparent des vaccins VLP sur d’autres systèmes que des plantes. »

Très certainement, il n’était pas très judicieux d’opter pour deux vaccins à ARN sur les quatre recommandés, juge M. Kobinger. « Selon moi, c’est une technologie très intéressante qui a définitivement du potentiel et qui doit être étudiée, mais de là à choisir deux vaccins de cette technologie sur quatre, c’est à mon avis prendre un très gros risque », affirme-t-il.

L’immunologiste André Darveau s’est inquiété lui aussi quand le gouvernement fédéral a annoncé au début du mois d’août les premières ententes qu’il venait de conclure avec Pfizer et Moderna, qui fabriquent deux vaccins à ARN qui sont assez semblables. « Je me suis demandé si c’était bien la meilleure stratégie de viser deux vaccins conçus selon la même technologie, d’autant plus qu’il n’y a pas encore de vaccins à ARN qui ont été démontrés comme efficaces chez l’humain. Heureusement, les deux ententes subséquentes assurent une certaine diversification, ce qui est plus rassurant, parce que si les vaccins à ARN ne fonctionnent pas, on aura deux autres possibilités », commente-t-il.

Pour Gary Kobinger, la première qualité d’un vaccin contre un virus comme le SRAS-CoV-2 devrait être la sécurité. « Or, parmi les quatre vaccins recommandés et pour lesquels le Canada a conclu des ententes, il y a deux vaccins à ARN dont la réactogénicité [capacité à produire des réactions indésirables] s’est avérée, dans les phases 1 et 2, plus élevée que celle de plusieurs autres plateformes. Selon les données rendues publiques, un des participants de la phase 1 du vaccin de Moderna s’est retrouvé à l’urgence et d’autres ont dû être hospitalisés. De plus, la plateforme à adénovirus utilisée par Johnson & Johnson est comparable à celle du vaccin d’AstraZenecca, lequel, comme on vient de le voir ces derniers jours, risque de donner des effets secondaires sévères. La plupart des grandes compagnies pharmaceutiques, tels que Merck et GSK, ont abandonné la plateforme à adénovirus depuis plusieurs années », fait-il remarquer. 

Source ; LE DEVOIR

VACCINS COMMANDÉS

Liste des vaccins recommandés par le groupe de travail et pour lesquels Ottawa a conclu des ententes de principe avec les compagnies qui les fabriquent:

1- 56 millions de doses du candidat-vaccin à ARN, de Moderna : mRNA-1273

2- 20 millions de doses du candidat-vaccin à ARN, de Pfizer : BNT162

3- 76 millions de doses du candidat-vaccin composé de nanoparticules de protéine virale et d’adjuvant, de Novavax : NVX-CoV2373

4- 38 millions de doses du candidat-vaccin à adénovirus, de Johnson & Johnson : Ad26.COV2.S