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Comment le photoreporter Jonas Bendiksen a dupé le monde de la photo avec un faux reportage – FRANCE CULTURE

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Jonas Bendiksen, photographe de l’agence Magnum a dupé tout le monde au festival « Visa pour l’image ». Son but : nous alerter sur notre crédulité face à la propagation des « fake news ».

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Jonas Bendiksen voulait tester notre crédulité face aux “fake news” avec un reportage fabriqué de toutes pièces. Résultat, il a réussi à duper tout le monde, même les photographes les plus aguerris, avec un faux reportage qu’il a réalisé depuis son ordinateur.

Jonas Bendiksen : « Les images générées par ordinateur sont devenues si faciles à utiliser, n’importe qui peut générer des informations artificielles désormais. Je crois qu’on est face à un sérieux problème. J’espère que ce que je viens de faire va nous faire prendre conscience qu’on est déjà entré dans cette ère-là… »

Des façades de l’ère soviétique délabrées, des voitures de la marque Lada usées, des ordinateurs installés dans des chambres mal éclairées : voici le reportage de Jonas Bendiksen, photographe reconnu de l’agence Magnum, sur Vélès, petite ville de Macédoine. Cette ville est surtout connue pour avoir abrité de nombreux sites frauduleux pro-Trump en 2016.

Une usine à « fake news » en Macédoine

Ces photos ont été présentées devant le gratin du photojournalisme au festival Visa pour l’image 2021. Problème : si l’histoire du business des « fake news » à Vélès est vraie, aucune des personnes photographiées n’est réelle… et les textes du livre compilant les photos ont été écrits par un ordinateur.

Jonas Bendiksen : « Le système d’intelligence artificielle a écrit les 5 000 mots, j’ai fait un peu d’édition, regroupé des paragraphes… Mais je n’ai pas écrit un seul mot. »

Jonas Bendiksen s’est rendu en Macédoine… pour photographier des endroits vides. Il les a modélisés en 3D et a incrusté dans ces décors des avatars humains générés par ordinateur, comme dans une partie des « Sims ».

Jonas Bendiksen : « Avant, les manipulations par l’image étaient faites à partir de vraies photos. Mais maintenant nous entrons dans une ère totalement nouvelle de l’imagerie artificielle, qui est générée à 100% par ordinateur, comme dans un jeu vidéo. »

Pour rendre ses photos truquées crédibles, il a même usé des vieux stéréotypes sur les pays de l’Est, non sans malice.

Jonas Bendiksen : « Personne n’a rien remarqué car ça correspondait à ce que les gens s’imaginaient : des petits voyous produisant des fake news en Europe de l’Est… Des appartements gris de l’ère soviétique, des gars louches écrivant les fake news, des ours dans les rues, les voitures Lada typiques de l’ère soviétique. La photographie est un médium tellement flexible…Il est loin le temps où les gens voyaient la photographie comme l’arbitre impartial de la vérité. Les gens voient ce qu’ils veulent dans une photo.« 

Malgré le caractère volontairement parodique du reportage, personne ne remarque que les photos de Jonas sont complètement trafiquées.  

Jonas Bendiksen : « Je pensais qu’au bout de quelques semaines, on finirait par me dire quelque chose, qu’on me demanderait «Est-ce qu’il y a vraiment des ours qui déambulent comme ça dans la ville?», qu’on me dirait «tes textes n’ont aucun sens»… Mais tout ce que j’ai eu en retour c’est des «whaou c’est merveilleux, quel projet intéressant!». »

Une performance critiquée

Jonas révèle finalement la supercherie. Certains lui reprochent d’entamer encore plus la crédibilité des journalistes avec ce faux reportage.

Lui voit ça plutôt comme une performance et un test pour nous préparer à un monde où les « deep fakes » et l’intelligence artificielle vont être de plus en plus présentes.

Jonas Bendiksen : « On pense qu’on a aujourd’hui un problème de fake news, mais ce n’est rien comparé à ce qui nous attend avec la généralisation d’images artificielles et de textes écrits par une intelligence artificielle. Vous, en tant que journaliste et moi en tant que photographe, on va avoir de plus en plus de difficultés à déterminer si un article a été écrit par un journaliste du New York Times ou par un ordinateur… »

SOURCE: FRANCE CULTURE