La Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme Michelle Bachelet, le 22 juin 2019 à Caracas
afp.com/CRISTIAN HERNANDEZ
La Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, a dressé une liste de sujets d’inquiétude et de recommandations aux autorités françaises.
« Je ne peux pas laisser dire qu’on réduit les libertés en France », avait affirmé la semaine passée auprès de Brut Emmanuel Macron, en réaction aux polémiques sur les « violences policières » et la loi sur la « sécurité globale ». « C’est un grand mensonge. On n’est pas la Hongrie ou la Turquie », s’était également exclamé le président de la République, interrogé sur les tensions politiques créées par la concomitance des images du tabassage par des policiers d’un producteur noir et de la controverse sur l’article 24.
La Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, n’est pas du même avis. L’ancienne présidente chilienne a fait savoir ce mercredi que les autorités françaises devaient veiller à ne pas « violer les droits de l’homme de tout un groupe » dont certains ont commis des actes répréhensibles. Interrogée spécifiquement sur la France, et en particulier sur la loi de sécurité globale et les violences policières, pendant une conférence de presse, Bachelet a dressé une liste de sujets d’inquiétude et de recommandations aux autorités françaises.
« Nous exhortons les autorités françaises à éviter de prendre des mesures qui résultent dans la stigmatisation de groupes entiers et nous les exhortons à prendre activement des mesures pour que des groupes ne soient pas stigmatisés ou ne voient pas leurs droits de l’homme violés parce que certains individus ont fait des choses qu’il ne fallait pas faire », a-t-elle déclaré. La Haut-commissaire a rappelé qu’en termes de violences policières, elle avait déjà fait part de ses inquiétudes durant les manifestations du mouvement de protestation des « gilets jaunes », lancé fin 2018 en France, et elle « encourage les autorités à mener des enquêtes rapides, complètes, indépendantes, impartiales et transparentes pour toute violation des droits de l’homme ».
Une révision « en profondeur » demandée par l’ONU
Des propos qui font écho au rapport d’un groupe de cinq experts indépendants mandatés par l’ONU ayant estimé le 3 décembre que la France se devait de réviser sa proposition de loi sur la sécurité, la jugeant « incompatible avec le droit international des droits de l’homme ».
« Parmi les nombreuses autres dispositions de la proposition de loi qui pourraient limiter les droits de l’homme, l’article 22 autorisant l’utilisation de drones de surveillance au nom de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme permettrait une surveillance étendue, en particulier des manifestants », a indiqué ce comté réduit. « Cela aura de graves implications pour le droit à la vie privée, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression dans le pays – ainsi que dans tout autre pays qui pourrait s’inspirer de cette législation », ont-ils ajouté dans un communiqué.
Tout en accueillant la création d’une commission, dirigée par le président de la Commission nationale des droits de l’homme, chargée de formuler des recommandations concernant l’article 24, les experts, parmi lesquels figure la rapporteure spéciale sur le droit à la liberté d’opinion et d’expression Irene Khan, ont exhorté la France à entreprendre une évaluation complète de la compatibilité de l’ensemble de la proposition de loi avec le droit international.
L’article 24, le plus controversé, « prohibe l’usage malveillant » de l’image « ou tout autre élément d’identification » des policiers et gendarmes en intervention. Pour les rapporteurs, qui sont mandatés par le Conseil des droits de l’homme mais ne s’expriment pas au nom de l’ONU, « les images vidéo des abus policiers captées par le public jouent un rôle essentiel dans la surveillance des institutions publiques, ce qui est fondamental pour l’Etat de droit ».
« C’est un bon signe que les membres du Parlement aient déclaré qu’ils réécriraient l’article 24 visant à limiter la publication d’images de policiers, mais il faut aller plus loin et repenser l’objectif de la proposition de loi dans son ensemble », ont-ils jugé. Mais « la simple réécriture de l’article 24 ne résoudra pas ses défauts et cette disposition n’est certainement pas la seule dans la proposition de loi qui porte atteinte aux droits de l’homme », ont-ils insisté, en réclamant une révision « en profondeur ».
Déjà le 12 novembre, un trio d’experts avait jugé, dans un rapport commandé par le conseil des droits de l’Homme de l’ONU – après avoir été saisi par la Ligue des droits de l’Homme française -, que la proposition de loi portait « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique », en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’homme.