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La cigale et la COVID-19 – Le Devoir

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Photo: Frederick Florin Agence France-Presse «Le risque de contracter la COVID-19 est deux fois et demie moins élevé dans une salle de cours où deux purificateurs sont en fonction», écrit Josiane Cossette.

Josiane Cossette

Conceptrice-rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire. Elle a aussi enseigné la littérature au collégial et collabore à la revue Lettres québécoises.

Le courriel circule depuis mardi sur les réseaux sociaux. Signé Paul Numainville, directeur de l’école Chanoine-Joseph-Théorêt de Verdun, il refuse à une classe l’installation d’un purificateur d’air acheté par des parents préoccupés par la ventilation déficiente de la classe de leurs enfants.

On peut y lire que, le jeudi 4 décembre dernier, une directive claire a été donnée par le Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys : « Les purificateurs d’air sont interdits dans tous les établissements scolaires. » La raison ? L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ne reconnaît pas leur efficacité, « car la plupart des purificateurs d’air d’usage domestique ne sont pas calibrés pour bien fonctionner avec un volume d’air comparable à celui d’une classe ». Au moment où le spectre d’une nouvelle fermeture des écoles et d’un reconfinement plane, il y a lieu de s’interroger sur cette décision de l’Institut qui s’apparente au discours de jadis sur le port du masque… Alors que certains pays l’avaient d’ores et déjà adopté, notre directeur national de santé publique clamait le printemps dernier que le couvre-visage n’était pas un outil de prévention, qu’il donnait une fausse impression de sécurité et pourrait même contribuer à la contamination. L’avenir nous aura démontré le contraire.

Membre du groupe COVID-Stop, dont les pressions ont mené au port du masque obligatoire dans les lieux publics intérieurs du Québec, la physicienne Nancy Delagrave pense que cette directive interdisant les purificateurs d’air n’a pas lieu d’être. « Washington D.C. en dote toutes ses classes, la Santé publique de Toronto pense que c’est une bonne idée. L’agence des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américaine dit que les purificateurs à filtre HEPA retiennent 99,97 % des particules du virus exhalées par les humains. C’est super-simple, ça retient comme un masque retient ; ça laisse passer juste 0,03 % du virus. Qu’est-ce qu’il peut y avoir de mal là-dedans ? »

Selon ses calculs, le risque de contracter la COVID-19 est deux fois et demie moins élevé dans une salle de cours où deux purificateurs sont en fonction. « Dans l’éventualité où un porteur du virus se présenterait en classe, il contaminerait ainsi seulement deux personnes, plutôt que cinq », ajoute la scientifique. Ce sont donc chaque fois trois élèves de moins qui seraient susceptibles de ramener le virus à la maison. Un effet boule de neige inversé, qui diminuerait les transmissions subséquentes, les hospitalisations, les délestages — et qui réduirait ultimement la pression subie par le système de santé.

Lors de son audition mercredi, le Dr Arruda a dit qu’il regardait « ce qui se passe dans le monde ailleurs », soulignant que des mesures coercitives comme la quarantaine surveillée des pays asiatiques ne passeraient jamais ici… Non seulement Tokyo, la Chine et le Japon ont tenu compte des aérosols dès l’hiver dernier, mais « le monde », c’est aussi l’Italie, qui a récemment attesté la transmission aérienne comme mode de transmission dominant, et l’Allemagne, dirigée par la physicienne Angela Merkel, où une étude a statué que « les purificateurs d’air constituent une mesure adaptée pour réduire substantiellement les risques de transmission aérienne du SRAS-CoV-2 ».

Réduire la transmission en milieu scolaire ne passera bien entendu ni par la militarisation ni par l’attentisme, mais par l’application du bon vieux principe de précaution. L’Ontario, qui a imposé plus tôt le port du masque en classe et permis l’enseignement à distance volontaire pour diminuer la taille des groupes, ne compte-t-il pas d’ailleurs quatre fois moins de cas dans ses écoles que le Québec ?

L’attente a assez duré

Pourquoi les écoles privées et les commissions scolaires anglophones peuvent-elles mieux protéger leurs élèves en installant des purificateurs d’air sans grincement, mais pas une école comme Chanoine-Joseph-Théorêt ? Il faut peut-être regarder du côté de la nouvelle structure scolaire pour comprendre. « Assurément, le nouveau modèle de gouvernance des centres de services scolaires ne laisse que peu de latitude aux DG, qui doivent se conformer plus que jamais aux décisions hypercentralisées de Québec », dit l’ex-commissaire de la feue CSDM Violaine Cousineau.

Bien des acteurs du milieu de l’éducation pensent que la situation qui se dégrade dans les écoles québécoises est le fruit de la valse-hésitation de la Santé publique, qui n’adopte pas les bonnes mesures au bon moment. Au secondaire, on a fait trop peu, trop tard. De nombreux adolescents ont eu le temps de contaminer leurs parents lorsqu’ils étaient empilés à 34 dans une classe, sans masque, au début de l’automne… La fille de Violaine Cousineau a d’ailleurs ramené la COVID à la maison et sa mère en paie encore le prix, avec une COVID qui l’a laissée incapable de faire quelques pas ou de murmurer quelques mots sans être essoufflée et prise d’une vive brûlure aux poumons.

Il y a lieu de se questionner : où étaient nos dirigeants cet été, lorsque le moment était idéal pour analyser nos infrastructures scolaires, procéder à des calculs et agir ? Pourquoi ce gouvernement ne préfère-t-il pas la proaction à la réaction ? Il n’y aura bientôt plus assez de murs pour qu’il puisse y être acculé…

Ce qui est certain, c’est que cette crise aurait difficilement pu arriver à un pire moment pour tester le nouveau modèle de gouvernance. « Dans l’urgence, le simple principe de précaution devrait permettre à des organisations de prendre des actions », selon la conseillère stratégique du Regroupement des comités de parents autonomes du Québec, Lyne Deschamps.

Ne reste qu’à espérer que la Santé publique et les ministères qui en dépendent, comme celui de l’Éducation, augmenteront leur vitesse de réaction, prendront les aérosols au sérieux et feront œuvre utile des 432 millions de dollars du fédéral destinés aux écoles. Il y a urgence. Car, pour l’instant, la cigale, n’ayant pas assez agi cet été, se trouvera fort dépourvue quand l’hiver sera venu.

SOURCE: LE DEVOIR