Mélanie Meloche-Holubowski
Qu’ont en commun Israël, le Royaume-Uni et l’Alberta? Des taux de vaccination relativement élevés, mais des hausses importantes dans le nombre de cas et d’hospitalisations liés à la COVID-19. Une levée rapide des mesures et des campagnes de vaccination différentes expliquent en partie cette recrudescence des infections.
Plus de 60 % de la population totale en Israël est vaccinée, 65 % au Royaume-Uni et 54 % aux États-Unis. Cela n’a pas empêché ces pays de connaître des niveaux presque records de nouvelles infections.
Israël a en ce moment le plus haut taux d’infection du monde; le taux dans ce pays est deux fois plus élevé qu’au Royaume-Uni et qu’aux États-Unis. Au Royaume-Uni, le nombre d’hospitalisations continue d’augmenter et aux États-Unis, on dénombre actuellement près de 2000 décès par jour.
Selon le professeur Barry Pakes, certains éléments comme le relâchement précoce des mesures sanitaires et la diminution de l’efficacité du vaccin expliquent pourquoi certains endroits sont frappés plus durement. Mais il ne faut pas oublier les particularités de chaque juridiction, dit-il.
Les comparaisons internationales sont compliquées parce que la COVID-19 est compliquée
, dit Barry Pakes, professeur de santé publique et médecine préventive à l’école de santé publique Dalla Lana de l’Université de Toronto. Il ajoute que le niveau de dépistage et la démographie peuvent avoir un effet sur le contrôle du virus.
Par exemple, un élément qui explique en partie la hausse importante de cas en Israël est le fait que le pays a une population très jeune, dont plusieurs enfants qui ne sont pas encore admissibles au vaccin.
Il faut rappeler qu’au Canada et ailleurs dans le monde, la majorité des infections sont détectées chez les personnes non vaccinées. Les jeunes, qui ne sont pas admissibles au vaccin, sont parmi les plus touchés lors de cette dernière vague.
Un relâchement des mesures trop rapide
Plusieurs experts croyaient — à tort — qu’Israël — qui a été l’un des premiers pays à vacciner la majorité de sa population — avait atteint une immunité collective. Toutefois, Israël a réussi à vacciner moins de 65 % de la population.
Nous avons fait des erreurs parce que nous pensions avoir gagné la guerre, mais nous comprenons maintenant que nous n’avons gagné qu’une seule bataille. La guerre est toujours en cours et nous devons vacciner encore plus de personnes
, a récemment déclaré le Pr Salman Zarka, qui conseille le gouvernement israélien dans la lutte contre la COVID-19, dans une entrevue avec le journal Times of Israël.
Selon le Pr Pakes, l’arrivée du variant Delta fait en sorte qu’il est nécessaire de vacciner 90 % de la population, y compris les enfants, pour arriver à contrôler la pandémie. Aucun pays dans le monde n’a atteint ce seuil. Seuls le Portugal, l’Islande et les Émirats arabes unis s’en approchent avec 80 % de leur population vaccinée.
Se croyant protégés par la vaccination, Israël et le Royaume-Uni ont abandonné au début de l’été le port du masque en public. Ils ont éliminé presque toutes les mesures sanitaires (y compris l’obligation de s’isoler après avoir été en contact avec une personne infectée) et ont permis l’ouverture de bars, de clubs et la tenue de grands événements sportifs et culturels. Israël a temporairement abandonné son passeport vaccinal; le Royaume-Uni a renoncé à l’idée d’en imposer un.
Le variant Delta — qui est beaucoup plus contagieux — est venu leur prouver qu’ils étaient encore loin d’avoir gagné la bataille contre le coronavirus. Israël a réimposé le port du masque à l’intérieur, limité les rassemblements et intensifié les dépistages.
Ces pays ont fait beaucoup moins attention que nous au niveau des mesures autres que la vaccination. Ils sont allés beaucoup trop vite. Tu regardes l’Alberta, c’est la même chose et maintenant les cas et les hospitalisations augmentent en flèche
, dit le Dr André Veillette, immunologiste à l’Institut de recherches cliniques de Montréal.
L’Alberta, ainsi que la Colombie-Britannique et la Saskatchewan – où les restrictions ont été largement éliminées cet été – voient désormais des records de cas et d’hospitalisations. Nous avons eu une expérience naturelle avec l’Alberta et nous voyons les résultats catastrophiques
, dit le Pr Pakes.
La médecin hygiéniste en chef de l’Alberta, Deena Hinshaw, a d’ailleurs fait son mea culpa cette semaine, disant que la levée précoce des mesures avait propulsé l’Alberta dans une nouvelle vague sans précédent.
De plus en plus de pays commencent à imposer une forme de passeport vaccinal pour accéder à certaines activités et à certains lieux publics. Quel sera l’effet de cette mesure? S’il est encore difficile de le dire avec certitude, on peut déjà voir qu’en France, le taux d’infection vient de tomber sous la barre des 100 cas pour 100 000 habitants, pour la première fois depuis mi-juillet.
Rappelons que la France a imposé un passeport sanitaire le 9 août dernier et que le taux de vaccination a par la suite augmenté. De plus, en août, plusieurs régions en France ont réintroduit le port du masque obligatoire dans les lieux publics.
Le professeur Pakes ajoute que la baisse des cas en France est possiblement, en partie, due au fait que la population est de plus en plus habituée à vivre en temps de pandémie et qu’elle s’autorégule lorsque nécessaire. Quand les cas augmentent, les gens paniquent et même s’il n’y a pas de confinement, les gens réduisent leurs contacts et font plus attention.
Diminution de l’immunité vaccinale
En Israël, environ 3 millions de personnes ont déjà reçu une troisième dose du vaccin et le pays parle désormais d’une quatrième dose. Selon les données de ce pays, l’immunité du vaccin diminue après quelques mois et expliquerait en partie l’augmentation des nouvelles infections.
Est-ce que le Canada et les États-Unis, qui ont commencé à vacciner un peu plus tard qu’Israël, pourraient bientôt faire face à une immunité qui diminue avec le temps? Une personne vaccinée en janvier a-t-elle moins de protection qu’une personne vaccinée en juillet?
Je serais très surpris que les données aux États-Unis [sur la durée de l’immunité] soient différentes de celles provenant d’Israël
, a dit le Dr Anthony Fauci en entrevue à Politico.
Il y a toutefois certaines nuances à apporter, précise le Pr Pakes.
D’abord, Israël a adopté une stratégie de vaccination très différente de celle du Canada. En Israël, on a administré la deuxième dose moins d’un mois après la première, le délai d’abord recommandé par les fabricants du vaccin.
Au Canada, les autorités ont opté pour un délai entre les doses entre 8 et 12 semaines. La décision a été controversée au début au Canada. Mais il semble que cette stratégie était meilleure et offre une meilleure efficacité à long terme et contre le variant Delta
, dit le Pr Pakes. La durée exacte de cette immunité n’est toutefois pas connue.
Comme en Israël, les chercheurs britanniques ont également remarqué que l’efficacité du vaccin diminuait avec le temps. Selon des données du Royaume-Uni, le vaccin Pfizer est efficace à 88 %, mais diminue à 74 % après cinq à six mois; le vaccin d’AstraZeneca est d’abord efficace à 77 %, mais diminue à 67 % après quatre à cinq mois.
De plus, au Royaume-Uni, on a majoritairement utilisé le vaccin Vaxzevria d’AstraZeneca, qui est considéré comme étant un peu moins efficace que les vaccins Comirnaty de Pfizer et Spikevax de Moderna.
C’est pour ces raisons que le Royaume-Uni offre une troisième dose aux personnes de 50 ans et plus, aux résidents de centres de soins de longue durée et à tous les adultes avec des comorbidités. Compte tenu de l’efficacité moins élevée du vaccin Vaxzevria, les personnes qui l’ont reçu auront en troisième dose un vaccin à ARN.
Si Israël croyait voir des effets positifs de l’administration d’une troisième dose, cette dernière vague est loin d’être maîtrisée.
Vendredi, aux États-Unis, un comité d’experts du Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques (FDA) a recommandé l’administration d’une troisième dose du vaccin aux aînés et aux personnes plus à risque de complications liées à la COVID-19. Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) doivent aussi donner leur recommandation à ce sujet, mais sembleraient plus ouverts à offrir une troisième dose à l’ensemble de la population.
Pour plusieurs experts, l’administration d’une troisième dose en ce moment n’est pas la solution magique pour contenir les nouvelles vagues.
D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) continue de demander de ne pas administrer de troisième dose, jugeant que la priorité devrait être de s’assurer qu’une plus grande partie du monde est vaccinée avec une première dose.
Pour le Pr Pakes, il est clair que le Canada doit continuer de suivre ce qui se passe dans les autres pays, particulièrement en Israël et au Royaume-Uni. Ces pays ont d’excellents systèmes de collecte de données, contrairement au Canada. C’est difficile d’apprendre de nos erreurs sans avoir les données pour comprendre.
Il ajoute que les experts le répètent : pour venir à bout de ce virus, il faudra vacciner 90 % de la population, y compris les enfants. Sans quoi, de nouvelles vagues continueront de surgir.
SOURCE: RADIO-CANADA