PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE
« De grâce, Monsieur le premier ministre, ne faites pas du Québec un État pirate », demande l’auteur à François Legault.
ALAIN-ROBERT NADEAU
AVOCAT ET DOCTEUR EN DROIT CONSTITUTIONNEL*
Publié le 8 janvier 2021 à 9h00
Après avoir indiqué sa volonté de pénétrer dans la résidence des Québécois sans autorisation, imposé des amendes inconstitutionnelles (contraires à la Charte canadienne des droits et libertés) et illégales (aucune loi québécoise n’accorde ce pouvoir), permis une mise en application abusive de ces normes (à titre d’exemple, le Procureur général du Québec a pris la décision de ne pas poursuivre un individu qui a sauvagement agressé trois femmes dans une station de métro en raison du fait qu’il souffrait de schizophrénie, alors qu’un autre individu souffrant de la même affection s’est vu décerner une amende de 1546 $), voilà que le premier ministre du Québec décrète un couvre-feu pour un mois.
À l’instar des mesures précédentes – les interventions dans les résidences et les amendes –, le couvre-feu est incontestablement illégal et inconstitutionnel. J’ai explicité mon raisonnement dans ces pages le 3 octobre 2020** ainsi que dans celles du Devoir les 16 avril et le 2 octobre 2020. J’ai aussi explicité ce pourquoi – contrairement à certains avis exprimés par de brillantissimes confrères constitutionnalistes – l’article 123 de la Loi sur la santé ne permet pas au premier ministre de décréter ces amendes ou, encore, un couvre-feu.
La première chose qu’il me faut préciser est la suivante. Bien que certains remettent en question l’efficacité des mesures prises – dont le couvre-feu –, tel n’est pas mon propos. Dans une entrevue récente accordée au journaliste Tristan Péloquin, j’ai précisé que, personnellement, je respecte les directives ; j’ai refusé et je refuse toujours de prendre parti pour les individus qui ne les respectent pas et, finalement, mon objectif se voulait une invitation tacite au premier ministre d’arrimer les mesures d’urgence aux prescriptions législatives et constitutionnelles.
Sur un plan plus pratique, j’ai même affirmé que la reconnaissance des droits des citoyens, dont la résolution devant les tribunaux prendra plusieurs années, devenait superfétatoire dans la mesure où l’intérêt de l’État – limiter la propagation de la COVID-19 – est immédiat.
En d’autres termes, outre la responsabilité civile de l’État, il n’y a, à première vue, que peu ou prou d’intérêts pour l’État d’arrimer ses directives aux prescriptions constitutionnelles.
Ce constat, mû par des intérêts électoralistes et la fatuité de l’exercice du pouvoir, méconnaît cependant des réalités que nous enseigne l’économie comportementale. Il est incompréhensible de s’attendre à ce que les citoyens respectent des directives restreignant leurs libertés alors qu’ils ont l’impression que les gens élus les bafouent sans vergogne. Ainsi, nos gouvernants doivent donner l’exemple (par exemple, ne pas voyager à l’étranger ou faire la fête sans masque dans leur circonscription) et démontrer une éthique irréprochable.
Arrimer les mesures à l’État de droit
La crise sanitaire et sociale actuelle pose des défis extraordinaires qui commandent des mesures tout aussi extraordinaires. Je n’ai aucun doute qu’il serait relativement simple d’arrimer ces mesures aux prescriptions constitutionnelles. Deux dispositifs devraient être pris immédiatement par le premier ministre.
Premièrement, il faut reconnaître la souveraineté du Québec, non pas au sens de l’indépendance, mais au sens que le pouvoir ultime est constitué par l’ensemble des citoyens, représentés, au Québec, par son Assemblée nationale.
Contrairement à la crise du verglas, l’actuelle crise sanitaire nécessite des décisions quotidiennes qui entravent les droits et libertés des citoyens. Ainsi, aussi sympathique que soit le Dr Horacio Arruda, il me semblerait préférable que le premier ministre consulte étroitement et soit accompagné des leaders des autres formations politiques lors de ses points de presse.
Deuxièmement, il est impératif d’adopter une loi sur les mesures d’urgence qui serait conforme aux prescriptions constitutionnelles. On invoquera le caractère d’urgence du couvre-feu et des autres mesures pour justifier cette attitude de gouverner par décret. Me faut-il rappeler qu’il est possible d’adopter une loi – comme on l’a fait en marge des évènements du 11 septembre 2001 – dans de très courts délais. La seule initiative du gouvernement a été de déposer un projet de loi dans lequel, camouflé dans un train de mesures visant la relance économique, il proposait d’étendre les pouvoirs exécutifs, dont on abuse déjà considérablement. Aussi, bien que j’aie ouï-dire que Justin Trudeau ne soit pas favorable à cette idée, dans la mesure où M. Legault estime qu’il y a véritablement urgence et qu’un couvre-feu est essentiel, il faut réclamer l’imposition immédiate de la Loi sur les mesures de guerre.
Notre régime démocratique, faut-il le rappeler, repose sur la limitation des pouvoirs de l’exécutif, et la reconnaissance des droits et libertés individuelles. De fait, et loin de moi l’idée de comparer le premier ministre Legault au président Trump, gouverner par décret, chercher à étendre les pouvoirs exécutifs et imposer des mesures – aussi valables soient-elles – en marge des prescriptions constitutionnelles contribuent à l’érosion de notre régime démocratique. On a constaté hier, avec ahurissement, là où cette désinvolture peut conduire. De grâce, Monsieur le premier ministre, ne faites pas du Québec un État pirate.
* Constitutionnaliste, spécialiste du droit à la vie privée et du droit policier, l’auteur a été conseiller constitutionnel principal à la Gendarmerie royale du Canada (GRC). À ce titre il a arrimé l’interdiction qui était faite aux membres de la GRC de se syndiquer aux prescriptions constitutionnelles. Il est l’auteur de Droit policier québécois, publié annuellement.