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La commission Laurent exige la création d’une Direction nationale de la protection de la jeunesse – Le Devoir

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Photo: Jean-François Nadeau Archives Le Devoir La présidente de la commission, Régine Laurent, presse le gouvernement Legault, encore une fois, d’agir sans tarder pour corriger le tir.

Jean-François Nadeau

À l’heure où des nouveaux cas de maltraitance ne cessent de défrayer l’actualité et que les taux de signalement continuent de gonfler, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse réclame la création immédiate d’une Direction nationale de la protection de la jeunesse pour s’assurer de mobiliser les efforts avec efficacité.

Faute d’une coordination et d’une uniformisation des pratiques dans le cadre actuel, une telle fonction lui apparaît urgente et nécessaire pour ragaillardir ces services sociaux. Ces derniers souffrent d’un manque de financement après avoir été malmenés par une suite de réformes dont le résultat s’avère malheureux pour les enfants, estime les commissaires.

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, mieux connue sous le nom de commission Laurent, affirme que le signalement à la DPJ doit cesser « d’être la porte d’entrée aux services à la jeunesse ». En fait, seuls les enfants qui en ont besoin devraient se retrouver en protection de la jeunesse, ce qui implique que les services soient vite repensés.

Le portrait que fait la Commission Laurent est loin d’être réjouissant. La présidente, Régine Laurent, presse le gouvernement Legault, encore une fois, d’agir sans tarder pour corriger le tir.

Changements à la loi

Dans un système qui était déjà loin d’être parfait, les réformes de la santé en 2015, placée à l’époque sous l’autorité du ministre Gaétan Barrette, ont fragilisé la structure de soins consentis aux enfants qui en ont besoin.

Ces réformes des services de santé et des services sociaux, opérées au nom de l’austérité économique, ont eu des conséquences très néfastes, à en croire les commissaires. « Les modèles de gestion déployés dans les CISSS-CIUSSS se sont mal adaptés à la réalité des services à la jeunesse. La Direction de la protection de la jeunesse s’est retrouvée isolée, noyée sous une cascade de décideurs. Privé de soutien, les responsabilités, l’imputabilité et le rôle social du [Directeur de la protection de la jeunesse] se sont fragilisés. Notons également qu’il n’existe plus d’instance responsable et imputable du déploiement des bonnes pratiques. »

Des changements législatifs s’imposent donc sans tarder, affirment les membres de la Commission Laurent.

Une nouvelle vision de la protection de la jeunesse au Québec doit passer par la révision du « modèle de gestion », ce qui doit conduire à plus à plus de « leadership » et d’« imputabilité ». Il faut, autrement dit, « exercer les contrôles requis pour assurer que les interventions en protection de la jeunesse respectent les plus hauts standards ». Ce qui n’est pas le cas en ce moment, regrette la commission.

Manque d’uniformité et de prévention

Les services sociaux déployés sur le territoire québécois pour aider la jeunesse sont loin d’être uniformes. Cela doit vite être corrigé, affirme la Commission Laurent.

Le financement des services à l’enfance n’a jamais été à la hauteur des besoins. Il s’avère désormais que les coûts sociaux engendrés par cette situation deviennent de plus en plus lourds. « Investir pour réduire les coûts sociaux et économique de la maltraitance constitue une évidence et ne peut plus être reporté. Investir en prévention afin de diminuer les coûts reliés à l’offre de service spécialisé et surspécialisé devient incontournable. »

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse questionne le rôle du « juge décideur » dans les questions de protection de la jeunesse. À son avis, il faut faire place « aussi souvent qu’il est possible » à un juge qui serait plutôt « facilitateur ». Autrement dit, la loi doit soutenir les changements de perspective sur la protection de la jeunesse. La Loi sur la protection de la jeunesse doit être clarifiée « pour en faciliter la compréhension » et pour « s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant prime dans toute décision qui le concerne ».

Respect des droits

Depuis quarante ans, soit depuis la mise en vigueur de la première loi sur la protection de la jeunesse, le travail en vase clos et le manque d’enracinement des services de proximité pour les enfants sont en cause pour expliquer une augmentation constante des signalements. Qui faut-il pointer du doigt ? Au moins « les règles de confidentialité ou leur interprétation », lesquelles apparaissent souvent telles « un frein à la collaboration et, en ce sens, contraire à l’intérêt de l’enfant ».

Au cours de ses audiences et des différentes consultations qu’elle a mené, la commission a conclu que les « droits ne sont pas toujours respectés » lorsqu’il est question des enfants. Ceux-ci sont peu écoutés au sein de la mécanique des services sociaux.

Si la Direction de la protection de la jeunesse est volontiers pointée du doigt, la Commission Laurent estime que ce n’est pas seulement de ce côté qu’il faut regarder pour trouver des solutions à un problème social majeur. « La société dans son ensemble — et non seulement la protection de la jeunesse — doit construire un cercle de bienveillance autour de l’enfant. » Les membres de la commission réaffirment le droit des enfants à vivre « au sein d’une famille bienveillante qui lui permet de grandir et de se développer sainement ».

Cependant, qu’en est-il des familles québécoises ? « Les familles sont en détresse, car elles n’ont pas accès aux services qui permettraient d’éviter que la situation se détériore. » Les parents ne savent pas où donner de la tête pour obtenir de l’aide. Les services, quand ils sont accessibles, ne le sont pas rapidement. Les familles, observent les commissaires, aimeraient « être accompagnées et être aidées plutôt que de se sentir jugées ». Qui plus est, les pratiques en protection de la jeunesse sont « insuffisamment centrées sur la participation, la mobilisation et la collaboration des jeunes et des parents ».

Même détresse du côté des intervenants du réseau. Ce sont, la plupart du temps, des femmes. « Elles estiment que les conditions de pratique ne leur permettent pas de dispenser des services de qualité au bon moment et à la hauteur des besoins. » Elles sont sous pression, en nombre insuffisant, au bord de l’épuisement.

Surreprésentation des autochtones

Les commissaires rappellent, dans leur document intérimaire, la surreprésentation des autochtones dans ce système de prise en charge public. « Le message est unanime ainsi que le décret instituant la Commission, il faut prendre levier sur les enquêtes, rapports ou pistes de solutions déjà accessibles. Le temps est venu de « Passer à l’action » et d’établir un dialogue fondé sur une confiance mutuelle. » Régine Laurent a répété à plusieurs reprises, au cours des travaux de la commission, que les recommandations de la Commissions Viens devaient être appliquées sans tarder. Un nouveau ministre a été nommé depuis.

Par ailleurs, les commissaires affirment qu’il faut adapter les services « pour tenir compte des besoins des minorités ethnoculturelles et linguistiques et pour assurer des services dans le respect de leurs droits ». Ce n’est pas le cas, à l’heure actuelle.

En décembre 2019, cinq recommandations intérimaires avaient été produites par la Commission. « Ces recommandACTIONS ont été endossées en mars 2020 par le gouvernement », rappellent les commissaires. Si « les engagements financiers se maintiennent », il faut cependant observer que l’implantation de ces premières recommandations subit « certains délais en raison de la pandémie ».

Au total, 4172 personnes de tous horizons auront fait entendre leur voix : 335 témoins en audiences publiques, 488 citoyens et 1526 intervenantes réunis dans 42 forums régionaux à travers le Québec, 1590 appels et courriels dans Votre Histoire et 233 mémoires déposés. Ont également été tenues des sessions de travail avec les présidents-directeurs généraux, présidents-directeurs généraux adjoints et directeurs de la protection de la jeunesse des CISSS et CIUSSS de tout le Québec. Le rapport final de la Commission doit être déposé ce printemps.

SOURCE LE DEVOIR