© Fournis par La Presse Canadienne
11-12-2020
Les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) ont été l’angle mort de la préparation de la pandémie, si bien que la menace qui pesait sur les résidents de ces établissements a été réellement sous-estimée par les autorités, résume Marie Rinfret dans son rapport d’étape.
Clairement, le Québec n’a pas été «à la hauteur» de son obligation «d’assurer le respect des personnes hébergées», selon la protectrice, qui voit dans la gestion déficiente de cette crise «l’essoufflement du modèle actuel d’hébergement des personnes aînées vulnérables».
Le document d’une vingtaine de pages est le fruit d’une enquête menée auprès des membres du personnel soignant, qui a vécu la crise de l’intérieur. Au total, elle aura effectué 250 entrevues et les témoignages recueillis donnent froid dans le dos.
Pour l’essentiel, les faits rapportés étaient déjà connus, mais le rapport a le mérite de documenter la crise des CHSLD à partir des informations fournies par ceux qui l’ont vécue au jour le jour pendant des mois, avec le sentiment d’assister à un film d’horreur.
Au total, 3890 personnes sont mortes dans les CHSLD, ce printemps, souvent laissées à elles-mêmes dans des conditions d’indigence extrême, certaines n’ayant même pas eu droit en fin de vie aux soins de base, qu’il s’agisse des soins d’hygiène, d’un verre d’eau ou d’un coup de main pour s’alimenter. Et ce, pendant plusieurs semaines, faute de personnel.
Et c’est sans compter les retards constants à changer les culottes d’incontinence. Certains auront passé des jours avec pour seul vêtement leur culotte d’incontinence souillée.
Des personnes âgées ont dû demeurer alitées «parfois pendant plusieurs semaines», souffrant de plaies de lit et subissant une détérioration de leur état de santé et des pertes cognitives «irréversibles», ont rapporté des témoins. Le personnel soignant n’avait même pas le temps de les tourner dans leur lit.
Une préposée aux bénéficiaires a raconté qu’elle se retrouvait souvent seule avec 50 résidants sous sa responsabilité, incapable de répondre à tous les besoins. D’autres avaient la responsabilité de plusieurs étages, tout en étant forcés de faire des doubles quarts de travail pendant plusieurs jours de suite.
«C’était comme un champ de bataille», raconte l’un d’eux.
Des employés du réseau ont dit avoir eu parfois l’odieux de choisir entre deux résidants en détresse respiratoire lequel aurait droit à des soins.
Ailleurs, on ne savait plus où placer les morts, tellement ils étaient nombreux, au quotidien.
Le rapport fourmille de ces témoignages troublants de membres du personnel soignant qui disent s’être sentis complètement dépassés par la situation, perplexes et impuissants devant «la désorganisation générale» observée dans le réseau.
Une fois rassemblés tous ces témoignages, la protectrice a dressé la liste des lacunes et des reproches à adresser au gouvernement: équipements de protection insuffisants, manque criant de personnel, trop grande mobilité du personnel, renforts militaires arrivés trop tard, gestion déficiente et trop éloignée du terrain, interdiction de visiteurs ayant causé beaucoup de détresse chez les usagers.
Chose certaine, on constate à la lecture du rapport que les 3890 usagers des CHSLD décédés au printemps ne sont pas tous «morts dans la dignité», a reconnu Mme Rinfret, en conférence de presse..
En mai, disant éprouver beaucoup de difficulté à composer avec la situation, la protectrice s’était engagée à mener une enquête fouillée sur la gestion de la crise dans les CHSLD durant la première vague de la pandémie.
Son rapport final est attendu à l’automne 2021, mais Mme Rinfret tenait à publier un rapport d’étape, dès cet automne. Le rapport final présentera un portrait d’ensemble de la gestion de la crise sanitaire dans ces centres d’hébergement, incluant les orientations prises par la santé publique, de janvier à mars, au moment où le gouvernement a choisi d’affronter le virus en libérant des milliers de lits dans les hôpitaux, sans prévoir ce qui se tramait dans les CHSLD.
En conférence de presse, Mme Rinfret a cependant refusé de distribuer des blâmes ou d’identifier des coupables. Elle a plutôt parlé d’une «méconnaissance de la situation» en haut lieu et d’une incapacité à mesurer «l’ampleur de la vulnérabilité» des personnes âgées démunies habitant en CHSLD.
Elle a ajouté qu’elle aurait quand même apprécié que les autorités en place corrigent le tir quand elle avait levé «un drapeau rouge», au printemps, dénonçant le manque criant de personnel, les conditions de travail difficiles en raison de cette pénurie et le fort taux de roulement.
Le rapport est assorti d’une série de recommandations visant à faire en sorte d’éviter qu’une telle situation se reproduise, grâce au personnel requis et la création d’«une culture de prévention et de contrôle des infections» dans les centres pour personnes âgées.
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, n’a pas tardé à réagir pour affirmer que le gouvernement n’avait pas attendu la publication du rapport pour procéder à une série de changements. Il a dit avoir déposé un plan d’action au mois d’août, ce plan répondant à «chacune des cinq grandes recommandations» de la protectrice, qu’il s’agisse des équipements de protection ou de la place laissée aux proches aidants notamment.
«J’aimerais rassurer la population que nous avons, effectivement, pris acte de ce qui était arrivé dans la première vague où c’était un nouveau virus, et nous agissons, depuis ce temps-là, très concrètement dans la deuxième vague», a dit le ministre en Chambre, en réponse aux questions de l’opposition.
En fin de journée, le premier ministre François Legault a admis que les aînés avaient été traités de façon «totalement inacceptable».
«Moi je reconnais ma part de responsabilité. On savait qu’il y avait un problème dans les CHSLD depuis plusieurs années», a-t-il soutenu en conférence de presse.
«On a augmenté les budgets des CHSLD quand on est arrivés au pouvoir, mais on n’a pas comblé les postes.»
Jocelyne Richer, La Presse Canadienne