Dr. Luc Boileau, interim Quebec Director of Public Health arrives at a news conference in Montreal, Tuesday, Jan. 11, 2022. THE CANADIAN PRESS/Paul Chiasson Crédit photo: Paul Chiasson/La Presse canadienne
écoutais dans ma voiture la conférence de presse du directeur de la santé publique par intérim, le docteur Boileau, surtout pour voir s’il y aurait du nouveau. Mais il a répété un peu les mêmes messages que le gouvernement : la nécessité de balancer les risques de l’infection et les risques sociaux. La proposition de la santé publique d’ouvrir graduellement. La routine.
Jusqu’à ce qu’il lance sa bombe : 2 millions de cas.
Il y aurait eu 2 millions de personnes infectées au Québec depuis décembre. Pas 2019. Décembre 2021! Je me suis stationné au bord de la rue pour mieux écouter, attendant les détails. Mais rien. On est passé à autre chose.
Quoi ? C’était probablement l’information la plus importante des dernières semaines et on n’allait pas approfondir ? Savoir comment on était arrivé à ces conclusions surprenantes ? S’en faire expliquer les implications ?
Le quart de la population infectée !
Je n’en revenais pas : Omicron aurait infecté le quart des Québécois (et on peut imaginer, des citoyens de la planète, puisqu’Omicron est partout). Or, on nous sort cette information comme si c’était une mise à jour des cas d’hospitalisation ou encore du pourcentage de personnes ayant reçu la 3e dose. Pourtant, ça change tout.
Notez que ce n’est pas la première fois qu’on évoque la possibilité qu’un bien plus grand pourcentage de la population ait été infecté par un des variants de la COVID. Mais entendre cette affirmation de manière si nette, apparemment sur la base de plusieurs modèles scientifiques convergents, par le directeur de la santé publique rien de moins, ça frappe.
Et je vous l’ai dit, ça change la donne si on accepte cette nouvelle donnée. Tout en prenant soin de la replacer dans son cadre, c’est à dire celui d’une population plutôt bien vaccinée comme la nôtre.
Comparer avec les données connues
De retour à la maison, je suis rapidement retourné aux données de l’INSPQ. Combien de cas avait-on réussi à identifier formellement depuis le 1er décembre ? C’est simple : 440 232, en date d’aujourd’hui. Confirmation du premier ouch : malgré tous les moyens mis en place, il a été impossible de capter plus du cinquième des cas durant la vague. Autrement dit, les capacités diagnostiques ont été largement enfoncées.
Le message est clair : il est sans doute très difficile de mesurer avec précision une vague d’une telle ampleur, alors arrêtons de nous illusionner sur ce point. Conséquence : il ne donne sans doute pas grand-chose de mesurer tous les cas, nous en manquons trop. Il vaut mieux développer d’autres méthodes et se rapporter à d’autres indicateurs.
2e conséquence : malgré toutes les mesures mises en place, mesures qui ont été plus serrées au Québec durant le mois de janvier que dans toutes les autres provinces canadiennes et que dans beaucoup de pays à travers le monde, jamais nous n’avons réussi à contrôler la vague.
Autrement dit, à part enfermer les gens chez eux ou les obliger à porter des masques N95 ajustés en permanence, la contagion est si forte que les outils dont nous disposons ne sont pas suffisants. On ne peut donc réussir à contrôler, du moins dans nos sociétés, la contagion foudroyante d’un virus de type Omicron. Et même si je suis un fort partisan de la ventilation, je doute qu’elle ait permis d’aplatir une courbe de cette ampleur.
Réévaluer le risque individuel
3e conséquence, qui me trouble vraiment et me rassure en même temps : s’il y a eu vraiment autant de cas, il faut revoir nos modèles quant à la gravité du virus Omicron (toujours dans le contexte d’une société bien vaccinée, je le rappelle).
Prenons les cas supposés d’Omicron du 1er décembre jusqu’au 15 janvier (vous allez vite comprendre pourquoi j’arrête le 15 janvier). Cela donne, à partir des données INSPQ, 358 005 cas déclarés et donc, règle de trois oblige, 1 626 437 cas au total.
Maintenant, prenons les hospitalisations entre le 10 décembre et le 25 janvier (pour se donner une marge de 10 jours entre le début de l’infection et l’hospitalisation). J’en arrive à 9144 hospitalisations. Je pense que vous me voyez venir ? On peut ainsi calculer le vrai taux d’hospitalisation par infection Omicron. Cela donne à 0,56 % ou encore environ 6 hospitalisations sur 1000 infections.
Et maintenant les décès. Ajoutons un autre 10 jours pour les délais après l’hospitalisation, et calculons donc les décès du 20 décembre à aujourd’hui. J’en trouve 1860 (dont beaucoup hors hôpital). Si on les rapporte ce nombre sur les cas, ça donne un taux de mortalité autour de 0,11 % ou encore 1,1 décès sur 1000 infections.
Et c’est là qu’il faut commencer à bien réfléchir, même s’il faut y aller avec prudence et même si on a comme l’impression d’avaliser un discours à saveur un peu trop connue : ces chiffres ressemblent vraiment à ceux… de la grippe. Même s’il faut absolument les appliquer dans le contexte d’une population largement vaccinée, puisque le risque demeure beaucoup plus élevé chez les non-vaccinés.
Juste une grippe ?
Comparer avec la grippe ? Moi ? Et pourtant, il faut le faire. Même si connaître avec précision la gravité de la grippe reste difficile. La meilleure estimation se trouve probablement sur le site du CDC américain. Grosso modo, on y estime les cas de grippe depuis 2010, le taux d’hospitalisation associé et le taux de mortalité.
Or, si on fait la moyenne de ces données, on en arrive aux chiffres suivants : le taux de mortalité de la grippe était durant ces 10 ans de 0,13 % ou encore 1,3 personne sur 1000 infectés. Ce qui est… un peu plus élevé à celui de la COVID à 1,1.
Et pour ce qui est chiffres d’hospitalisation, c’est encore plus frappant : on peut calculer facilement un taux moyen d’hospitalisation de 1,64 % ou encore 16 personnes sur 1000 pour la grippe, alors que pour la COVID, comme on l’a vu, on en arrive à 6 personnes sur 1000. Vous avez bien lu.
Bien sûr, on peut se questionner sur la prévision des estimations, pourquoi pas. Mais dans les deux cas, il s’agit des meilleures données provenant, soit du CDC américain, soit de la santé publique au Québec. Et il y a fort à parier qu’il n’en existe pas de meilleures.
En situation Omicron, avec notre bon taux de vaccination (une donnée TRÈS importante puisque les non-vaccinés ont encore beaucoup plus de risque de se retrouver à l’hôpital et encore plus aux soins intensifs, de l’ordre de 10 fois plus), on peut donc affirmer que la contagion est difficile à juguler et que de capter tous les cas dépasse nos capacités. Mais l’effet du virus est comparable à celui de l’influenza pour les décès et inférieur pour ce qui est des hospitalisations.
Un changement de paradigme
Tout cela jette un éclairage nouveau sur la situation actuelle et transforme sans doute l’appréciation de la suite des choses. Dans notre situation de vaccination, le virus n’est donc pas plus grave que la grippe (qui est tout de même un virus assez grave, on s’entend).
Même si on peut penser à bon droit que cela aurait été bien pire sans mesure. Et qu’on peut certainement affirmer que sans vaccination et sans 3e dose, cette vague nous aurait plongés dans une situation de crise majeure.
Les bonnes nouvelles, c’est que le risque individuel lié à Omicron est faible lorsqu’on est vacciné et suggère que nous pouvons effectivement sans trop de craintes passer au plan de déconfinement proposé. Et de commencer à gérer la crise comme toute autre infection virale de type grippale. Si le virus ne revient pas sous une autre forme encore plus contagieuse ou (ce qui serait bien pire) plus virulente, bien évidemment.
Cela montre enfin que même si le risque individuel est limité, le risque collectif demeure important, notamment en raison de la contagion extrême et du manque de capacité de notre réseau de soins. La vaccination, qui permet de limiter ces hospitalisations, est donc vraiment un facteur clef. Ce qui relève, comme on le sait, de la responsabilité individuelle de se protéger ou non contre les complications.
Le message est clair. Nous avons changé de paradigme et il faut réfléchir à la suite des choses à la lumière de ce qui est probablement l’une des meilleures nouvelles des derniers mois: le variant Omicron, pour une population bien vaccinée, finalement, c’est « juste une grippe » avec vraiment beaucoup de cas.