CLAUDE VILLENEUVE
Samedi, 17 octobre 2020 05:00
La première condition pour que les gens consentent aux directives de santé publique qu’on leur impose, c’est de ne pas leur donner l’impression qu’on les prend pour des épais. Malheureusement, en refusant d’admettre que la situation actuelle imposée en zone rouge en est une de confinement, c’est exactement ce qu’on fait.
Que François Legault aille dire à une personne qui vit seule que sa condition actuelle n’est pas exactement la même qu’en avril. Que Christian Dubé convainque un restaurateur qui a dû fermer sa salle ou un travailleur de la culture qui est sur la PCRE que l’économie est ouverte. Que Horacio Arruda explique à une grand-mère qui ne peut pas voir ses petits-enfants que nos règles ne correspondent pas à ce que l’OMS appelle un confinement. On en reparlera après.
Entre le printemps et aujourd’hui, il y a deux choses qui ont changé : les enfants peuvent aller à l’école, ce qui n’est pas négligeable, et plus d’entreprises sont ouvertes. Pour le reste, on est dans une « normalité » où simplement traîner dans un café est interdit.
Et le premier ministre semble se trouver magnanime quand il dit qu’il n’a pas l’intention d’instaurer un couvre-feu comme en France. C’est parce que vous voudriez qu’on aille où, après neuf heures, de toute façon ? S’asseoir sur un banc de parc sous la pluie ?
Puis on nous demande hier de réduire encore plus nos contacts avec d’autres personnes. Le célibataire en télétravail, il devrait couper qui, vous pensez ? Le concierge de son immeuble ? Son chien ?
Mal nommer les choses
Il ne s’agit pas tant de critiquer cette approche de confinement économique partiel et de confinement social complet. Même si l’OMS nous dit aujourd’hui que ça ne peut pas être la principale mesure de lutte à la pandémie, ça semble malheureusement être la seule dont le gouvernement du Québec arrive à tirer des résultats. Bref, on semble ne pas trop avoir le choix, mais ce serait important d’être au moins capable d’appeler un chat un chat.
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus. Aussi, en refusant d’admettre que leur stratégie pour ralentir le virus consiste à réduire le plus possible le capital social de notre collectivité, nos dirigeants donnent surtout l’impression de ne pas être conscients de ce qu’ils demandent aux gens.
Cet éloignement social est mieux vécu lorsque quelqu’un nous attend dans une grande maison, lorsqu’on est abonné à deux ou trois services de vidéo sur demande, qu’on a des tonnes de parents et d’amis à appeler sur FaceTime et qu’on peut aller reconduire les enfants à l’école. Pour certains, c’est presque des vacances.
Dans la pauvreté d’un trois et demie, toutefois, ou quand on doit s’isoler avec les petits à la maison parce qu’on attend depuis huit jours le résultat d’un test de dépistage après une poussée de fièvre, c’est vécu différemment, et cette situation porte un nom. Ça s’appelle un confinement.
Rendu là, vous aurez beau dire aux gens « vous n’êtes pas confinés, vous pouvez aller vous acheter des gréements chez La Baie ! », le seul résultat que vous obtiendrez, c’est de les écœurer.
Nouvelle « nouvelle normalité »
Le gouvernement arrive au bout de sa corde et ce serait chouette, pour notre bien à tous, qu’il s’en rende compte. Le taux de satisfaction ne restera pas à 70 % pour toujours et le recrutement des conspirationnistes continue de battre son plein. Et ce n’est pas comme si on avait déjà un surplus de ressources en santé mentale avant la pandémie.
On nous laissait entendre hier qu’au bout des « 28 jours dont on savait que ça ne serait pas 28 jours », on retrouvera peut-être le privilège de fréquenter les salles de sport. Cela est juste et bon.
Ça semble néanmoins vouloir dire qu’aux yeux du gouvernement, le confinement social, l’impossibilité de fréquenter ses parents et amis pas juste pour s’amuser, mais surtout pour partager ses peines et ses difficultés, c’est la nouvelle « nouvelle normalité ». Si on est gentil, il y aura des permissions pour l’Halloween et Noël.
Ça ne fera pas. Il va falloir trouver autre chose pour contrer le virus. On ne peut pas penser que d’isoler les gens chacun dans leur coin peut être une bonne manière de traverser la pire crise qu’ils auront vue de leur vivant. Parce que la présence dont on a besoin pour partager les épreuves, elle se partage mal dans une conférence Zoom.
Malheureusement, le gouvernement n’a même pas l’air de se rendre compte que c’est ce qu’il demande aux gens. Si c’était le cas, il appellerait ça un confinement.