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Survivre au couvre-feu – La Tribune

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MICKAËL BERGERON
LA TRIBUNE
mbergeron@latribune.qc.ca
 
21 janvier 2021 6h37
 
CHRONIQUE / Selon plusieurs leaders politiques, la grandeur de leur pays se voit par sa richesse et sa quantité de millionnaires. Pour ma part, j’aurais plus tendance à regarder comment un pays traite ses citoyens et citoyennes les plus défavorisées. Ça donne quoi avoir des multimilliardaires si on laisse des gens mourir de faim ou mourir de froid dans la rue?
 

Le décès de Raphaël André, retrouvé mort, gelé, dans une toilette chimique à Montréal, a beaucoup fait jaser. Avec raison. Surtout que c’est vraiment un cas de « on l’avait dit que ça arriverait ». Dès que le couvre-feu a été annoncé, de nombreux organismes ont soulevé les dangers pour les personnes en situation d’itinérance.

L’image est tellement frappante, tellement grossière. Le gouvernement crée dès le départ une exception pour les propriétaires de chiens, mais même après le décès d’une personne qui se cachait de la police dans une toilette chimique, François Legault refuse une exception pour des gens qui n’ont nulle part où aller pendant le couvre-feu.

Des personnes qui luttent tous les jours pour combler leurs besoins de base – se nourrir, se vêtir, se soigner, se loger – deviennent du jour au lendemain criminelles par leur seul fait d’exister. Il y a quelque chose de sauvage là-dedans. C’est sans cœur et cruel.
 

Empirer la situation

Le directeur du Partage St-François de Sherbrooke, Sébastien Laberge, ne s’inquiète pas de sa capacité d’accueil. Lui et son équipe ont réussi à augmenter de 50 % le nombre de places pour la deuxième vague. Le défi, selon lui, n’est toutefois pas le nombre de lits.

« Je peux ajouter des lits, ce n’est pas ça le problème, mais je dois aussi avoir du personnel pour les accueillir », ajoute le directeur. C’est une population qui cumule souvent plusieurs problèmes et il y a une limite qu’un intervenant peut gérer. Au même titre qu’il y a une limite de patients qu’une infirmière peut s’occuper.

Malgré tout, ce n’est pas ça qui fait le plus mal. Dans un mois de janvier habituel, l’établissement peut refuser jusqu’à 150 personnes. Cette année, c’est à peine une dizaine de refus. En partie grâce aux lits supplémentaires, mais il n’y a pas eu autant de nouveaux lits. La demande a diminué, mais ça ne veut pas dire que les besoins ont diminué.

Le protocole des consignes sanitaires rebute plusieurs personnes en situation d’itinérance. « Habituellement, l’accueil commence vers 17 h et à 18 h 15, c’est terminé. Là, avec le protocole, ça peut aller jusqu’à 22 h et pendant ce temps-là, les gens attendent dans le stationnement. » Et ça, c’est juste pour entrer.

« Nous, on accueille du monde que le réseau habituel n’est pas capable de gérer, explique Sébastien Laberge. Il y en a qui ont plusieurs problèmes de santé mentale. Est-ce qu’on va se battre pour qu’une personne porte son masque ou le laisser dormir dans la rue? »

Chez L’Escale de l’Estrie, qui offre un environnement sécuritaire aux femmes et enfants victimes de violence conjugale, on sent aussi que les mesures sanitaires peuvent freiner des victimes qui auraient besoin de leur aide. Difficile de chiffrer l’impact, mais certaines femmes changent d’idée après avoir entendu les consignes. Sauf dans leur chambre, tout le monde doit porter le masque et être à deux mètres de distance dans les aires communes, en plus du confinement à l’arrivée. « C’est un fardeau de plus pour elles, alors qu’elles essaient de briser leur isolement », explique la directrice, Céline Daunais-Kenyon.

Le directeur du Partage St-François s’inquiète aussi pour le moyen et long terme. Le lien de confiance entre son organisme – et l’ensemble des refuges – et les personnes en situation d’itinérance a été brisé par la première vague.

« Leur mode de survie a été anéanti par les mesures de confinement, exacerbant leurs problèmes, explique le directeur. Même ceux qui étaient plus équilibrés sont rendus désorganisés. Ils ne peuvent plus aller nulle part, ils sont des parias partout, même où ils étaient accueillis avant. Quel message ça leur envoie? Ils ont l’impression d’être de la merde. Ces gens sont déjà on the edge et on leur a enlevé le rien qu’ils avaient. Il y a donc plus de crises et plus de violences. Ça va être long rattraper tout ça. »

On ne se ramasse pas à la rue par hasard. À quel point c’est un choix éclairé quand tu fuis un environnement violent, que tu as subi des abus, que tu as plusieurs problèmes de santé mentale, des dépendances, souvent un mélange de tout ça! Les contextes qui mènent vers l’itinérance nourrissent aussi une méfiance envers les institutions ou les organismes. Ce lien de confiance est donc difficile à créer et vraiment important.

Un autre écueil selon Sébastien Laberge est la vaccination. « C’est normal que les CHSLD et les urgences passent avec nous, insiste le directeur, mais je ne comprends pas pourquoi nous sommes avec les autres organismes communautaires. Nous sommes un milieu de vie, nous sommes un service de première ligne, ce n’est pas comme une Maison des jeunes. Si on ferme en raison d’une infection, ça va faire mal. Il n’y a pas d’autres refuges, les gens n’auront pu rien. On ne devrait pas être aussi loin dans les priorités. »

La belle excuse

Difficile de ne pas repenser à cette absurde déclaration de François Legault pendant la conférence de presse de mardi : « Si on mettait dans le règlement le fait qu’un itinérant ne peut pas recevoir de contravention, n’importe qui pourrait dire qu’il est itinérant. »

Que doit-on comprendre, de ce message? On préfère laisser des gens mourir de froid parce qu’elles ont peur de recevoir une contravention plutôt que laisser quelques personnes peut-être réussir à ne pas avoir une contravention en mentant?

Ce n’est pas comme si les gens n’avaient pas déjà des options pour en passer une petite vite, en plus. Pas que je veux donner des idées, mais se faire une fausse attestation de travail essentiel, ce n’est pas si dur que ça. Faire semblant d’avoir besoin d’un médicament non plus. Emprunter le chien d’un voisin non plus.

La crainte que des gens en profitent est une belle excuse. C’est bien plus un je-m’en-foutisme des personnes en situation d’itinérance. Si ça inquiétait vraiment le gouvernement, il aurait mis en place tout ce qu’il faut pour que des places comme le Partage St-François puissent s’occuper de cette population aussi importante que vous et moi.

Les personnes en situation d’itinérance ne cherchent pas à défier le couvre-feu, elles essaient de survivre.

SOURCE: LA TRIBUNE