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Retrait de données sur le cancer : la défense d’Arruda est contredite – RADIO-CANADA

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La version des faits du Dr Horacio Arruda s’étiole dans le dossier de la pollution à l’arsenic de la Fonderie Horne, à Rouyn-Noranda. Radio-Canada a appris que l’ex-directeur national de santé publique du Québec n’a pas fait de geste concret pour accompagner sa décision de ne pas diffuser de données sur le risque de cancer du poumon, en septembre 2019.

Selon trois sources directement engagées dans le dossier, c’est plutôt la santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue qui a fait la demande d’étude approfondie à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Et cette requête est survenue en juillet 2021, soit près de deux ans après le retrait de la fameuse annexe.

Par ailleurs, la santé publique régionale ne confirme pas qu’elle était d’accord avec le retrait des données inquiétantes, alors que le Dr Arruda a évoqué un commun accord.

Vue sur la Fonderie Horne depuis le quartier Notre-Dame à Rouyn-Noranda

Des données de surveillance de l’état de santé de la population de Rouyn-Noranda présentées en mai dernier révélaient que l’espérance de vie est de cinq ans inférieure (77,4 ans) dans le quartier Notre-Dame, où est située la Fonderie Horne, par rapport au reste du Québec (82,5 ans) et à d’autres quartiers de Rouyn-Noranda.

PHOTO : RADIO-CANADA

L’annexe 6 du rapport de biosurveillance de la santé publique régionale indiquait que l’incidence plus grande de cas de cancer du poumon à Rouyn-Noranda rend difficilement acceptable la présence d’arsenic dans l’air ambiant et à la surface des sols, considérant qu’il s’agit d’un facteur aggravant de ce type de cancer.

Selon nos sources, l’étude de l’INSPQ, qui sera dévoilée la semaine prochaine, confirmera que le risque de contracter un cancer du poumon à cause de l’arsenic est plus élevé à Rouyn-Noranda qu’ailleurs, particulièrement dans le quartier Notre-Dame, celui de la Fonderie Horne.

Contradictions du Dr Arruda

Mon intention n’a jamais été de cacher quoi que ce soit, a martelé Horacio Arruda lors d’une conférence de presse, le 23 juin, tout en reconnaissant qu’il a demandé de retirer l’annexe 6 du rapport de biosurveillance en 2019.

Le but était de prendre le temps de faire une analyse indépendante, plus robuste, mieux documentée, a-t-il expliqué. On a convenu de le publier autrement et de demander un avis à l’INSPQ.

À deux reprises durant la conférence de presse, le Dr Arruda a affirmé que c’était lui qui avait demandé l’étude approfondie, et c’est par le besoin d’attendre ce rapport complet qu’il justifiait d’avoir retiré l’annexe.

« J’avais demandé […] d’avoir un rapport de l’INSPQ pour aller plus loin dans l’analyse de ces données. »

— Une citation de  Horacio Arruda, sous-ministre adjoint au ministère de la Santé du Québec et ex-directeur national de santé publique

Or, la santé publique régionale confirme les informations de nos sources. C’est bien elle, et non le Dr Arruda, qui a demandé à l’INSPQ un rapport plus détaillé sur l’évaluation du risque cancérigène pour la population de Rouyn-Noranda.

Le document a été produit à la demande de la Direction régionale de santé publique [DRSP] de l’Abitibi-Témiscamingue, confirme à son tour l’INSPQ.

Invité à préciser les propos de son sous-ministre, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) suggère une méprise de notre part sur la signification des propos du Dr Arruda. Selon le MSSS, la demande devait venir de la direction régionale, tout simplement.

Ce que le Dr Arruda a plutôt dit, c’est qu’il fallait une étude plus poussée. C’est à ce moment que la DRSP a demandé à l’INSPQ de faire l’étude, ajoute le MSSS.

Mais nos sources sont formelles : le retrait des données et la demande d’étude ne sont pas survenus au même moment. Près de deux ans se sont écoulés entre les deux.

Invitée à réagir à ces révélations, la santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue nous a renvoyés vers le MSSS. Ce dernier affirme que des discussions ont eu lieu « durant quelques mois » avec la santé publique régionale « afin de définir les besoins ».

Une annexe retirée d’un commun accord?

La Direction régionale de santé publique refuse aussi de confirmer la version du Dr Arruda voulant que le retrait de l’annexe 6 ait été fait d’un commun accord avec la DRSP.

Le Dr Arruda a demandé de retirer l’annexe 6 du rapport, nous a simplement répondu par courriel la DRSP lorsqu’on l’a questionnée pour savoir si l’organisation était d’accord avec cette décision.

Après l’avoir relancée une deuxième fois, nous n’avons pas obtenu davantage de précisions. Nous estimons avoir déjà assuré le suivi concernant la première question, précise le courriel du CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue.

Luc Boileau ira à Rouyn-Noranda

Le directeur national de santé publique actuel, le Dr Luc Boileau, a abordé la question pour la toute première fois mercredi soir, au Téléjournal 18h.

Il a assuré qu’il sera à Rouyn-Noranda dans les prochaines journées pour répondre aux préoccupations des citoyens.

« On va garder le cap sur transparence, rigueur et disponibilité […] Ce sont des risques dont les gens veulent comprendre l’ampleur. »

— Une citation de  Luc Boileau, directeur national de santé publique du Québec

Lors de son passage sur place, en septembre 2019, Horacio Arruda avait expliqué être venu à titre de conseiller du ministre Lionel Carmant. C’est ce qu’indique le compte rendu de la réunion du Comité consultatif de suivi de l’étude de biosurveillance, à laquelle il avait participé après avoir rencontré des représentants de la Fonderie Horne.

Un risque plus important de cancer du poumon

Selon deux sources qui ont eu accès à l’étude très attendue de l’INSPQ, celle-ci révèle un excès significatif de cas de cancer du poumon liés à l’arsenic dans le quartier Notre-Dame par rapport à la moyenne québécoise.

Lors du dernier conseil d’administration du CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue, le directeur régional de santé publique par intérim, le Dr Stéphane Trépanier, avait déjà donné un avant-goût des conclusions de cet avis.

L’Institut national de santé publique, qu’on a consulté récemment, a documenté l’excès de risque de cancer pour deux de ces contaminants, l’arsenic et le cadmium, et a conclu à des actions à entreprendre sans délaia mentionné le Dr Trépanier le 9 juin devant les membres du conseil d’administration.

Une exposition à la concentration moyenne annuelle mesurée en 2018 à Rouyn-Noranda se traduirait par un risque théorique d’environ 4,86 cas excédentaires de cancer sur 10 000 personnes, ce qui dépasse le risque normalement considéré comme acceptable par les autorités sanitaires au Québec.

L’Organisation mondiale de la santé et Santé Canada tolèrent un risque maximal d’un cas de cancer sur 100 000 individus.

Un droit de polluer au-delà des normes québécoises

La Fonderie Horne bénéficie d’une autorisation du ministère de l’Environnement pour émettre jusqu’à 100 nanogrammes d’arsenic par mètre cube dans l’air, alors que la norme québécoise est de 3. C’est 33 fois plus.

Il s’agit en quelque sorte d’une clause de droits acquis, puisque l’usine était en exploitation bien avant la mise en place de la norme. Cette entente arrive toutefois à échéance en novembre.

Le ministère de l’Environnement et la Fonderie Horne négocient en ce moment une nouvelle entente afin de déterminer le seuil que devra atteindre l’entreprise dans les prochaines années.

Selon nos informations, l’étude de l’INSPQ contiendra différents scénarios de réduction des émissions d’arsenic de la fonderie, afin d’évaluer quelle serait leur incidence sur les cas de cancer du poumon.

En 2019, la santé publique régionale évoquait l’idée d’imposer une limite de 15 ng/m3 afin d’éviter un effet neurotoxique chez les enfants. Elle ajoutait : Plus on dépasse ce seuil et plus l’exposition est prolongée, plus on augmente la possibilité que ce type d’effet puisse être observé.

Résultats d’étude inquiétants sur la santé des enfants

À l’automne 2018, la santé publique régionale a mené un dépistage du plomb, du cadmium et de l’arsenic chez les jeunes enfants qui vivent dans le quartier Notre-Dame, adjacent à la fonderie. Les résultats indiquent que ces enfants sont 3,7 fois plus exposés à l’arsenic, un cancérigène reconnu, que des enfants qui ne sont pas exposés à des sources industrielles d’arsenic.

Des résultats extrêmes, jusqu’à 40 fois plus élevés que la moyenne de la population témoin et n’ayant pas pu être attribués à d’autres sources environnementales d’arsenic que celles provenant de Glencore Fonderie Horne, ont également été mesurés, précisait la Direction régionale de santé publique de l’Abitibi-Témiscamingue.

Des données de surveillance de l’état de santé de la population de Rouyn-Noranda présentées en mai dernier révélaient aussi que l’espérance de vie est de cinq ans inférieure (77,4 ans) dans le quartier Notre-Dame par rapport au reste du Québec (82,5 ans) et à d’autres quartiers de Rouyn-Noranda.

La différence était encore plus marquée entre 1994 et 1998 : l’espérance de vie dans le quartier Notre-Dame était de 68 ans, soit de 10 ans inférieure au reste du Québec (77,9 ans). Durant cette période, la moyenne annuelle d’arsenic dans l’air a atteint jusqu’à 800 nanogrammes par mètre cube.

Ces données montraient aussi que l’incidence de cancer du poumon était de 140 pour 100 000 personnes à Rouyn-Noranda entre 2013 et 2017, alors que la moyenne provinciale était de 107,7 durant la même période.

En 2019-2020, le pourcentage de maladie pulmonaire obstructive chronique chez les plus de 35 ans se situait à 13,5 % à Rouyn-Noranda, alors qu’il était de 9,2 % dans l’ensemble du Québec.

Si l’arsenic cause des cancers du poumon, ces cancers à Rouyn-Noranda ne sont pas nécessairement attribuables à l’exposition à l’arsenic, avait déclaré le Dr Arruda, selon le compte rendu de la rencontre de septembre 2019.

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a tenu le même discours à l’Assemblée nationale.

Il y a des données qui doivent être analysées, mais à ce moment-ci, il n’y a rien qui permet de faire un lien avec la fonderie, donc la prudence est de mise sur ce plan-là, avait-il affirmé le 25 mai dernier.

SOURCE: RADIO-CANADA