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MISE À JOUR
Nathalie Elgrably
La Cour fédérale a tranché. La proclamation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement Trudeau pour démanteler le «convoi de la liberté», à l’hiver 2022, était «déraisonnable» et «illégale».
Cette décision est bien plus qu’un simple jugement. C’est une cuisante et humiliante raclée infligée aux libéraux et à tous ceux qui ont avalisé avec enthousiasme, sinon avec délectation, leur détermination à anéantir un mouvement de contestation.
En début de mandat, Justin Trudeau avait démontré son exceptionnelle aisance à présenter des excuses larmoyantes pour tous les travers commis par ses prédécesseurs. On se serait donc attendu à ce qu’il accepte dignement sa défaite judiciaire et qu’il présente des excuses pour ses propres débordements et son manque de jugement envers les camionneurs qu’il a injustement démonisés. Cela aurait été un minimum absolu.
C’est irrévérencieux envers les contribuables, qui feront les frais de cette démarche, mais c’est certainement mieux ainsi.
Ottawa ayant usé et abusé de son pouvoir pour gérer le mécontentement citoyen, la justice doit être rigoriste à son égard.
En confirmant l’inconstitutionnalité du recours à cette loi, la Cour suprême enverrait, d’une part, un avertissement sérieux aux futurs premiers ministres qui seraient tentés d’imiter Trudeau pour se débarrasser des voix discordantes. Voilà qui redonnerait confiance aux Canadiens en leurs institutions!
D’autre part, ce jugement rendrait inévitable un appel à l’imputabilité, à la sanction des coupables, et au dédommagement des victimes. Car, pour l’instant, rien n’est prévu.
Conséquences
Or, un jugement dépourvu de conséquences concrètes cause plus de tort que de bien. En signalant aux élus qu’ils peuvent impunément enfreindre les lois, il les invite à multiplier les actes délictueux. Le Canada se porte déjà affreusement mal. Inutile d’en rajouter!
Convoi de la liberté»: la Loi sur les mesures d’urgence était «illégale», tranche la Cour fédérale - Le Journal de Montéal
MISE À JOUR
La Cour fédérale juge «déraisonnable» et «illégale» la proclamation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement Trudeau pour mettre fin au «convoi de la liberté» à l’hiver 2022, une décision qu’Ottawa portera en appel devant la Cour d’appel fédérale.
Dans une longue décision remise mardi, le juge Richard Mosley argue que l’invocation de la Loi «violait» la liberté d’expression des manifestants, car celle-ci «avait une portée excessive en s’appliquant à des personnes qui voulaient manifester, mais qui ne s’engageaient pas dans des activités susceptibles de troubler la paix», explique la Cour.
«La proclamation était déraisonnable et illégale», résume-t-on.
C’est le 14 février 2022, après près d’un mois d’occupation du centre-ville d’Ottawa par d’imposants camions-remorques, que le gouvernement a décidé de jouer le tout pour le tout avec la Loi sur les mesures d’urgence, utilisée pour la première fois depuis son adoption en 1988.
Direction Cour d’appel
«On respecte complètement le système indépendant judiciaire du Canada, mais avec tout le respect, on n’est pas d’accord avec cette décision et on va aller en appel», a réagi la vice-première ministre Chrystia Freeland.
Mme Freeland a souligné que le Canada traversait alors «un moment dangereux».
«On a pris une décision difficile, on a pris une décision sérieuse, une décision grave, mais on était convaincu [de prendre] la bonne décision. On continue aujourd’hui d’être convaincu qu’on a pris la bonne décision.»
Un seuil «extrêmement élevé»
La poursuite contre le gouvernement avait été intentée par une poignée d’individus ainsi que deux organismes, l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) et la Canadian Constitution Foundation.
Noa Mendelsohn Aviv, directrice générale et avocate générale de l’ACLC, a rappelé que «le seuil d’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence est extrêmement élevé».
«Les pouvoirs d’urgence sont nécessaires dans des circonstances extrêmes, mais ils constituent un danger pour la démocratie. Ils doivent être utilisés avec parcimonie et prudence», relate-t-elle dans une déclaration écrite. «On ne doit pas y avoir recours, même pour faire face à une manifestation massive et perturbatrice qui aurait pu être gérée par les forces policières et les lois en vigueur.»
- Écoutez l’entrevue avec Me Ewa Krajewska, avocate pour l’Association Canadienne de Liberté Civile, avec Mario Dumont via QUB :
Contradictions avec la Commission Rouleau
Le jugement de la Cour fédérale entre en contradiction avec la conclusion principale de la Commission sur l’état d’urgence, mise sur pied le 25 avril 2022, quelques mois après la manifestation historique.
Le juge franco-ontarien Paul Rouleau jugeait que l’utilisation de la Loi était justifiée, mais possiblement évitable si les choses avaient été faites autrement dès le départ.
«Je conclus qu’en l’espèce, le seuil très élevé à respecter pour invoquer la Loi a été atteint. Je l’ai fait avec réticence», avait-il écrit dans sa décision.
Selon lui, l’escalade «aurait probablement pu être évitée» si les «forces de police», et les «différents ordres de gouvernement» s’étaient mieux préparés, et avaient réagi différemment pour gérer «les manifestations légitimes».
Poilievre se frotte les mains
Les réactions des oppositions n’ont pas tardé à fuser, à commencer par Pierre Poilievre, qui a publié un message sur X renvoyant à une page pour devenir membre du Parti conservateur.
«Il [Justin Trudeau] a provoqué la crise en divisant les Canadiens. Il a ensuite violé les droits garantis par la Charte pour réprimer illégalement nos citoyens. En tant que premier ministre, j’unirai notre pays pour la liberté», a-t-il lancé.
Une pléthore d’autres élus conservateurs a fait leurs choux gras de cette nouvelle tuile qui s’abat sur Justin Trudeau et son gouvernement.
En point de presse au Saguenay, Yves-François Blanchet a pesté contre le premier ministre qui, «plutôt que de faire de la politique avec crise», aurait pu «intervenir plus vite» en donnant plus d’effectifs à la police d’Ottawa et en «ouvrant un dialogue» avec les manifestants.
Jagmeet Singh ne s’est pas gardé de critiquer l’ensemble des paliers de gouvernements impliqués dans la crise. «On a toujours dit que la crise était le résultat d’un manque de leadership de Justin Trudeau, et aussi des gouvernements provinciaux et municipaux», a-t-il déclaré.
Le NPD avait appuyé le gouvernement dans la proclamation de la Loi.
Les conservateurs et le Bloc Québécois s’y étaient opposés.
– Avec Guillaume St-Pierre