LE JOURNAL DE MONTRÉAL, P. WEB
Notre liberté d’expression est attaquée. Au cours des dernières années, un mouvement important de censure s’est établi au sein des médias, du milieu académique et de la population en général. La controverse suscitée à l’Université d’Ottawa par le « mot commençant par ‘’N’’ » est un exemple parmi d’autres.
Pourquoi doit-on s’inquiéter de ce mouvement? Entre autres, parce qu’une attaque à notre liberté d’expression est une attaque à notre niveau de vie.
Les vertus de la liberté d’expression sont aujourd’hui largement reconnues : elle améliore la qualité de nos institutions démocratiques, elle facilite les échanges d’idées et permet des politiques publiques plus saines et transparentes.
Liberté d’expression et croissance économique
Mais outre ces bienfaits, il existe également un lien étroit entre la liberté d’expression et la croissance économique. Cette relation est d’ailleurs confirmée par la littérature économique et par plusieurs articles académiques de différents chercheurs de l’université Stanford, du Dartmouth College et de l’université de Californie à Berkeley, qui arrivent tous à la même conclusion : les échanges d’idées stimulent l’innovation, et l’innovation est l’un des moteurs principaux de la croissance économique et de la hausse de nos niveaux de vie.
Favoriser les échanges d’idées et la protection de la liberté d’expression est donc intuitivement bénéfique et la littérature scientifique le confirme. Mais concrètement, pour le Canadien moyen, que gagnerait-il si nos gouvernements mettaient en place des politiques publiques favorisant davantage la liberté d’expression?
Selon nos calculs et notre modèle économétrique, celui-ci pourrait bénéficier d’un gain annuel en moyenne d’environ 2 522 dollars canadiens. Évidemment, il ne s’agit pas ici d’un dépôt direct dans son compte en banque, mais d’une hausse graduelle de nos niveaux de vie propulsée par les effets découlant de plus de liberté d’expression.
Au sein de l’échantillon de 132 pays utilisé dans notre étude, le Canada figure parmi les 15 % des pays les plus libres en matière d’expression. S’il est vrai que nous vivons dans une société relativement libre, tenir ce bon résultat pour acquis serait une grave erreur.
En fait, la marge de manœuvre des gouvernements reste grande pour améliorer la liberté d’expression, surtout si nous nous comparons avec le pays au premier rang du classement, la Norvège. Dans ce pays, il est fréquent que les politiciens, à la demande du public, posent des gestes concrets pour renforcer la liberté d’expression.
En revanche, au Canada et dans plusieurs provinces en particulier, dont le Québec, l’État peut décider arbitrairement de subventionner un média plutôt qu’un autre, ce qui peut potentiellement nuire à l’indépendance des médias et mener à des informations biaisées et moins fiables.
Sans compter qu’il est de plus en plus difficile d’obtenir de l’information de nos gouvernements via des demandes d’accès à l’information, ce qui nuit à la tenue de débats publics. Cette situation devrait nous alarmer.
Recommandations
Ainsi, afin d’améliorer notre bilan en matière de liberté d’expression et par conséquent de hausser notre niveau de vie, nous mettons de l’avant trois recommandations.
1- Favoriser l’indépendance des médias envers le gouvernement en limitant les subventions arbitraires et, à la place, créer un cadre réglementaire et fiscal favorable pour tous les médias;
2- Inciter les universités publiques canadiennes à protéger la liberté d’expression, afin qu’elles permettent réellement à leurs chercheurs, professeurs et étudiants de s’exprimer librement sans risque de représailles;
3- Augmenter les informations et données disponibles à la population en diminuant la nécessité de faire des demandes d’accès à l’information, et ce afin de faciliter les débats publics.
Bien que le Canada soit un pays relativement libre, la pandémie a exacerbé les faiblesses préexistantes dans la protection de la liberté d’expression. Nous ne devons pas laisser la situation actuelle devenir la nouvelle norme. Pour le bien de notre qualité de vie et de notre richesse collective, il faut en faire davantage pour promouvoir et protéger la liberté d’expression des Canadiens et Canadiennes.
Miguel Ouellette est directeur des opérations et économiste à l’IEDM, Maria Lily Shaw est économiste à l’IEDM. Ils sont les auteurs de « Le Canada doit protéger et encourager davantage la liberté d’expression » et signent ce texte à titre personnel.
SOURCE: IEDM