Les entreprises pharmaceutiques devront déclarer les « cadeaux » faits aux médecins.
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Radio-Canada
le 18 octobre 2017
Un texte de Natasha MacDonald-Dupuis
Le projet de loi annoncé à la fin septembre entraînerait la création d’une banque de données qui permettrait au public de voir quel médecin a reçu de l’argent et de qui.
Le hic, c’est que le texte actuel du projet de loi n’interdit pas aux compagnies de financer des chercheurs, des études médicales ou des recherches scientifiques. Adoptée comme telle, la loi ne ferait que sortir ces paiements de l’ombre.
« La transparence ne règle pas les conflits d’intérêts. La seule manière de les régler, c’est de s’en débarrasser! »
De plus, la loi proposée n’offre une vitrine que sur une partie du problème. De nombreuses études ont prouvé(Nouvelle fenêtre) que l’industrie pharmaceutique utilise d’autres moyens pour influencer les médecins(Nouvelle fenêtre), souvent à leur insu.
Des écrivains anonymes
« La conséquence, c’est qu’on ne peut jamais se fier à ces articles! Et les professionnels de la santé qui les consultent sont induits en erreur. » Selon lui, les médicaments en question sont parfois peu efficaces ou même pas du tout.
« Ils coûtent aussi plus cher et cet argent sort de la poche des patients ou des contribuables », déplore-t-il.
Jerome Kassirer explique que des médecins haut placés acceptent souvent de signer ces articles en échange de compensations financières.
Tout récemment, le site de nouvelles médicales STAT a dû retirer un article qui faisait l’éloge des représentants pharmaceutiques(Nouvelle fenêtre) après que le neurologue qui l’avait signé eut admis ne pas en être le véritable auteur. Ce dernier aurait également reçu plus de 300 000 $ de compagnies pharmaceutiques entre 2013 et 2016.
« Qui de mieux qu’un médecin en sarrau de laboratoire pour vendre les bienfaits d’un médicament? »
Et le problème ne s’arrête pas aux journaux médicaux. L’an dernier, CBC a d’ailleurs exposé un article du Globe and Mail(Nouvelle fenêtre)qui vantait les mérites d’une hormone vaginale et qui avait été écrit par une compagnie de relations publiques payée par le fabricant Novo Nordisk Canada Inc. De plus, les études de la chercheure citée dans l’article avaient été financées par la compagnie.
Une influence sur la formation continue
« Ces cours sont payés en grande partie par les compagnies pharmaceutiques », soutient Paul Thacker, qui a enquêté sur le sujet pour le compte du sénateur républicain Charles Grassley. Paul Thacker a aidé à rédiger une loi semblable aux États-Unis, la Physician Payments Sunshine Act, incluse dans l’Affordable Care Act en 2010.
Il a aussi conseillé le ministre de la Santé de l’Ontario, Eric Hoskins, au cours de la préparation du projet de loi. « Les compagnies estiment que le contenu n’est pas biaisé, mais plusieurs études démentent ces affirmations. »
Selon lui, les professionnels de la santé qui participent à ces cours ne réalisent pas qui les financent. « Les experts qui donnent ces conférences reçoivent entre 2000 $ et 5000 $. »
En 2014, un programme de formation médicale en continu présenté à travers le pays par le Collège des médecins de famille du Canada, Optimiser le soulagement de la douleur en réduisant le risque, était parrainé par la compagnie Purdue. Le Collège n’a pas voulu commenter l’affaire.
Cette pratique inquiète le Dr James Brophy, professeur et cardiologue au Centre universitaire de santé McGill : « Si c’est l’industrie qui choisit les sujets discutés, ça peut influencer l’éducation des médecins. » De son côté, le Dr Jerome Kassirer espère que la loi ontarienne s’attaquera à ce genre de conflit. « Aux États-Unis ça a été mis de côté et ne fait pas partie de la Sunshine Act. »
Des lignes directrices biaisées
Selon le Journal of the American Medical Association, les compagnies pharmaceutiques ont acquis un contrôle sans précédent sur l’évaluation de leurs propres produits. En effet, elles financent aujourd’hui la plupart des recherches cliniques sur les médicaments d’ordonnance.(Nouvelle fenêtre)
Mais ce qui inquiète davantage, ce sont les conflits d’intérêts des experts qui rédigent les lignes directrices pour les traitements et l’usage de médicaments et d’équipements médicaux au pays.
« C’est bien connu. Les membres de ces comités travaillent parfois aussi comme consultants à temps partiel ou reçoivent du financement pour la recherche, mais certains sont arrogants et prétendent que ça ne les influence pas. Mais les études prouvent que les incitatifs financiers ont une grande influence », explique le Dr Kassirer
Un exemple récent : il a été révélé en mai dernier(Nouvelle fenêtre) que certains des experts qui ont rédigé les nouvelles lignes directrices pour la prescription des opioïdes au Canada avaient d’importants conflits d’intérêts avec des compagnies pharmaceutiques, dont Purdue Pharma, qui fabriquait l’OxyContin.
« C’est pas mal plus profitable comme influence, ça va au-delà de ce qu’ils peuvent acheter avec les activités de leurs représentants pharmaceutiques », déplore le Dr James Brophy. « S’ils sont en conflit, ça peut influencer l’interprétation de données ou les inciter à recommander un médicament qui peut être plus cher et moins efficace ».