You are currently viewing Covid-19 : le passe sanitaire est-il vraiment «inefficace» contre l’épidémie ? – LE FIGARO

Covid-19 : le passe sanitaire est-il vraiment «inefficace» contre l’épidémie ? – LE FIGARO

Facebook
Twitter
LinkedIn

 

LA VÉRIFICATION – «Sur le contrôle de l’épidémie, l’action du passe est strictement marginale», a déclaré le professeur Peyromaure ce mardi sur Europe 1. À raison ?

LA QUESTION. En vigueur depuis plusieurs mois, le passe sanitaire est-il en réalité «inefficace» ? De nombreuses personnalités se questionnent sur l’utilité de ce dispositif, qui pourrait être bientôt transformé en passe vaccinal. Sur Europe 1, ce mardi, le chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin, à Paris, a ainsi remis en cause l’utilisation de cet outil. «À titre personnel, je ne suis pas très favorable […]. Je ne suis pas épidémiologiste, mais tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire que sur le contrôle de l’épidémie, l’action du passe est strictement marginale».

 

S’il a permis de pousser «des millions de gens à se faire vacciner», le passe ne serait donc pas efficace pour lutter contre les contaminations. L’auteur de Hôpital, ce qu’on ne vous a jamais dit (Albin Michel) n’est pas le premier à avancer cet argument : sur LCI, quelques semaines plus tôt, la candidate du Rassemblement national pour 2022 a affirmé que cet outil «ne sert strictement à rien» : «le vaccin n’empêchant pas la contamination, on ne voit pas l’intérêt qu’il y a à empêcher certaines personnes qui ne sont pas vaccinées à accéder à certains endroits, puisque de toute façon, ceux qui sont vaccinés sont susceptibles de transmettre le virus», s’est insurgée Marine Le Pen.

À l’instar de la représentante du RN, plusieurs responsables politiques ont questionné le bien-fondé du passe. Ces élus se sont aussi appuyés sur la requête récente de la Cnil, qui a déploré le manque de données permettant «d’apprécier l’efficacité» des outils déployés face à l’épidémie, dont le passe. «On sait que c’est 100% inefficace», a critiqué Florian Philippot sur Twitter. «Ces preuves n’existent probablement pas», a ajouté François Asselineau.

Alors, peut-on prouver l’efficacité du passe sanitaire ? Sur quelles bases ? Et qu’a demandé exactement la Cnil au gouvernement ?

VÉRIFIONS. Revenons d’abord sur les fondements du passe. Lors des discussions à l’Assemblée nationale, en juillet, le rapporteur du texte étendant ce dispositif assurait que cela devait «avant tout servir à intensifier la lutte contre le Covid-19». «Même si le risque zéro n’existe pas, la probabilité d’être contaminé comme celle de transmettre ensuite le virus sont considérablement réduites par le fait d’être vacciné ou rétabli, sans parler des personnes qui viennent d’obtenir un résultat négatif au test de dépistage», indiquait le député (LREM) Jean-Pierre Pont. Et d’ajouter : «je ne peux le nier, ce dispositif incite à la vaccination».

Deux objectifs sont donc liés : inciter à la vaccination et «limiter la propagation de l’épidémie de Covid-19», selon le Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État rappelait d’ailleurs, mi-juillet, que le passe ne pouvait se justifier seulement par le premier objectif : il devait présenter un «intérêt spécifique […] pour limiter la propagation de l’épidémie […] et non par un objectif qui consisterait à inciter les personnes concernées à se faire vacciner».

À VOIR AUSSI – Vaccin Covid-19: jusqu’à combien de doses ira-t-on?

Paramétrez vos cookies, pour accéder à ce contenu vidéo.

Un manque de preuves, selon la Cnil

C’est sur ce point que porte l’avis de la Cnil. La Commission requiert des «éléments qui permettent d’apprécier l’efficacité des traitements» mis en place contre l’épidémie, dont le passe. C’est aux autorités de définir et de produire ces indicateurs prouvant l’utilité de ces mesures restreignant les libertés, d’un point de vue sanitaire, précise l’institution au Figaro. Reconnaissant que l’appréciation est «délicate», la Cnil réclame des «études et éléments chiffrés», afin de réaliser un «travail de prise de recul et d’évaluation».

Par le passé, la Commission avait déjà sollicité l’exécutif pour prouver l’efficacité d’un dispositif. Dans un avis récent, elle avait suggéré aux autorités de croiser le nombre d’utilisateurs déclarés positifs et notifiés dans TousAntiCovid avec «les données des systèmes d’information Contact Covid et SI-DEP». Un moyen de prouver l’efficacité de l’application utilisée pour tracer l’épidémie.

Une utilité complexe à démontrer

D’un point de vue rationnel, restreindre l’accès de certains lieux à risque à des individus soit testés, soit vaccinés, soit rétablis du Covid-19 limite les risques, à défaut de les annihiler. Mais l’efficacité concrète du passe pour freiner l’épidémie est plus complexe à démontrer qu’il n’y paraît.

Car même une personne testée comme négative peut en réalité être positive (on parle d’un faux négatif) et une personne vaccinée peut aussi l’être. Le passe n’est donc pas infaillible. La protection des vaccins faiblissant avec le temps ainsi qu’avec le développement de variants, l’efficacité du passe a aussi pu décroître. En outre, il n’est qu’un outil parmi d’autres, comme le port du masque, l’aération des pièces, les gestes barrières et, surtout, la vaccination. Difficile d’isoler son rôle au sein de ce bouclier global.

D’un point de vue rationnel, restreindre l’accès de certains lieux à risque à des individus soit testés, soit vaccinés, soit rétablis du Covid-19 limite les risques, à défaut de les annihiler.

Il n’existe pas, aujourd’hui, de données chiffrées «évaluant précisément le passe», constate le professeur Antoine Flahault. Mais des «travaux de modélisation» peuvent éventuellement permettre d’évaluer les effets des différentes mesures sur l’épidémie, en fonction des contextes, par exemple de la saison.

«L’expérience tentée par les Danois, qui ont levé leur Coronapass le 10 septembre, est intéressante à plusieurs titres, relève l’épidémiologiste et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève. D’une part, l’accalmie y a été de plus courte durée après la levée du passe (et de l’obligation du port du masque y compris à l’école), que dans les pays l’ayant conservé». Les Danois ont aussi perdu «l’instrument juridique» leur permettant de réinstaurer le passe, mi-septembre, rendant son retour long et complexe, ajoute l’expert.

L’expérience danoise montre, selon lui, que «l’usage étendu du passe sanitaire représente un frein efficace, mais non nécessairement bloquant sur la pandémie», en particulier en période hivernale. Aujourd’hui, «le seul passe et la seule vaccination, même associés aux gestes barrières ne semblent pas en mesure de contrôler la puissance des vagues liées au variant Delta lors des saisons froides». Certains pays planchent sur une obligation vaccinale, d’autres sur le rappel vaccinal, pour compléter l’arsenal.

Incertitude du côté du gouvernement

De son côté, l’exécutif a assuré disposer de «preuves concrètes» de l’efficacité du passe. Au sortir du conseil des ministres, Gabriel Attal a cité «l’augmentation très forte de la couverture vaccinale», ainsi que des «études remises», dont ComCor, prouvant «que sur la durée d’observation […] on observait une réduction des contaminations, en tout cas pas de sur-risque de contamination dans les lieux soumis au passe sanitaire».

Mais l’institut Pasteur, derrière l’étude ComCor, indique que ce document n’est pas construit «pour mesurer l’efficacité ou bien valider des outils de contrôle» : les modélisateurs implémentant «plusieurs paramètres simultanément», elle ne permet pas de mesurer «spécifiquement l’impact d’une mesure isolée». En outre, la période étudiée court du 23 mai au 13 août, et le passe n’a pas empêché certains lieux qui y étaient pourtant soumis, dont les discothèques, d’être des «lieux de transmission».

Interrogé par nos soins sur les «preuves concrètes», le ministère de la Santé cite l’avis du Conseil scientifique du 5 octobre : «c’est encore un peu tôt pour une évaluation qualitative». «Il n’existe pas d’étude […] comparant l’efficacité des passes sanitaires appliqués aujourd’hui dans plusieurs pays», ajoute-t-on. Le ministère, qui ne cite d’ailleurs pas l’étude ComCor en guise de preuve, assure cependant que cet outil permet de «minimiser les risques de contamination par le virus», en forçant les personnes souhaitant valider leur passe à être soit testées, soit rétablies du Covid-19, soit vaccinées. Un constat qui était surtout vrai il y a quelques mois, mais qui l’est moins à mesure que la protection s’est amoindrie.

Une efficacité indéniable sur la vaccination

Les «preuves concrètes» restent donc insuffisantes. Mais l’autre utilité du passe – pousser les Français à se faire vacciner – est, quant à elle, plus simple à vérifier. Les différentes annonces liées au passe – par Emmanuel Macron en juillet, Jean Castex en novembre -, ont donné un coup de fouet à la campagne vaccinale. «Une étude menée par Oliu-Barton montre que la mise en place du passe sanitaire a entraîné une augmentation significative de la primovaccination, non seulement de la population jeune mais également de la population de plus de 65 ans», indique le ministère de la Santé, citant un avis du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale.

Le passe est un «incitatif», remarque Fabio Galeotti, chargé de recherche au CNRS. L’utilité d’une incitation positive ou privative pour modifier les comportements des citoyens, en matière sanitaire, est connue de longue date : «une étude récente a montré que proposer des incitations monétaires augmentait le pourcentage de personnes allant se faire vacciner», note le chercheur. «Nous savons, grâce à l’expérience d’autres pandémies, que cela fonctionne», ajoute-t-il, citant l’exemple de la vaccination contre le tétanos et de celle contre le virus du papillome humain.

Attention cependant, une incitation négative, comme le passe – en cela qu’il restreint l’accès si la personne n’est pas testée ou vaccinée – «peut être perçue comme non légitime, et avoir un effet contreproductif». Tout dépend de la manière dont le public perçoit l’incitation et l’autorité qui la met en place. Le passe ne peut donc être la seule mesure : «il ne serait pas suffisant et pourrait se retourner contre les autorités», par exemple en braquant les personnes opposées à ce dispositif.

En résumé, le passe sanitaire est indéniablement un incitatif «puissant» pour la vaccination. Mais les preuves de son efficacité contre l’épidémie à proprement parler manquent. Il est «trop tôt», selon les autorités, pour évaluer l’effet du dispositif. Le rappel vaccinal devrait toutefois renforcer son utilité, en redynamisant la protection des individus concernés contre l’infection, la transmission et les formes graves.

Cependant, si l’efficacité de l’outil contre l’épidémie ne peut être démontrée, la question de son maintien risque de se poser : «à défaut de réponse, la Cnil ne sera pas en mesure d’évaluer correctement la nécessité globale des outils informatiques mis en place pour la gestion de la crise», indique la Commission au Figaro. Et d’ajouter : «la Cnil a toujours la possibilité, en toute indépendance, d’estimer qu’il convient de mettre fin à un dispositif qui n’est plus nécessaire».

SOURCE: LE FIGARO