Le ministère québécois de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a rendu public jeudi soir un document important qui confirme que l’ancien directeur national de santé publique, Horacio Arruda, a recommandé la réinstauration du couvre-feu malgré un avis éthique défavorable.
Cet argumentaire opposé au couvre-feu avait été préparé avant les Fêtes par la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal.
Le document – un avis éthique transmis par la Direction régionale de santé publiqueDRSP le 21 décembre dernier – fait état de nombreux considérants
amenant à conclure que la mise en place de mesures alternatives à l’imposition du couvre-feu
aurait été préférable.
La Direction régionale de santé publiqueDRSP invoque par exemple les impacts collatéraux, plusieurs tragiques, engendrés par le couvre-feu qui affectent disproportionnellement les populations hautement fragilisées
.
Elle cite entre autres le décès d’une personne en situation d’itinérance suite auquel le couvre-feu a été suspendu pour les personnes en situation d’itinérance
, en référence à la mort tragique de Raphaël André.
Cet avis n’a toutefois pas convaincu le Dr Arruda, qui a recommandé par la suite au gouvernement Legault d’imposer un couvre-feu sur l’ensemble du territoire québécois, y compris à Montréal. La mesure, annoncée le 30 décembre, est entrée en vigueur le lendemain, la veille du jour de l’An.
Radio-Canada avait demandé accès à l’avis de la directrice régionale de santé publique de Montréal, Mylène Drouin, au sujet du couvre-feu, mais celui-ci nous avait été refusé par le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
Finalement, la santé publique de Montréal avait consenti à en dévoiler un court extrait démontrant que la Dre Drouin était défavorable au couvre-feu.
Elle avait aussi recommandé à la santé publique nationale que le Comité d’éthique en santé publique ou tout autre service éthique indépendant soit mandaté pour fournir un avis
.
Une version entièrement caviardée de l’avis éthique fourni par la Direction régionale de santé publiqueDRSP a été transmise récemment à Radio-Canada en guise de réponse à une demande en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics.
Le gouvernement a finalement consenti, jeudi, à partager une version complète du document.
L’échange de courriel du 30 décembre by Radio-Canada on Scribd
Le jour même de la conférence de presse pour annoncer le couvre-feu, le Dr Arruda cherchait toujours comment justifier le couvre-feu. Il avait sollicité l’Institut national de santé publique du QuébecINSPQ pour obtenir des études, mais l’Institut lui avait répondu ne pas en avoir en sa possession et ne pas pouvoir en produire une en un si court délai.
Dans un communiqué publié le 30 décembre pour justifier l’instauration du couvre-feu, le ministère de la Santé et des Services sociauxMSSS affirmait pourtant que la décision d’imposer un couvre-feu s’appuyait, notamment, sur une analyse éthique
.
Clairement, on n’a pas lu le même mémo
, a écrit sur Twitter la cheffe libérale Dominique Anglade, jeudi soir.
On s’est moqué de nous, a déploré sur le même réseau Joël Arseneau, porte-parole péquiste en matière de santé. Une fois de plus, une fois de trop.
Il faudra bien un jour faire toute la lumière sur la gestion de la pandémie
, a-t-il ajouté.
En entrevue à l’émission 24|60, jeudi soir sur ICI RDI, le Dr Luc Boileau – qui agit comme directeur national de santé publique par intérim depuis la démission du Dr Arruda, le 10 janvier – a reconnu l’existence de certaines incertitudes
et nuances
concernant l’efficacité réelle du couvre-feu.
Le Dr Boileau n’était pas là
lorsque le couvre-feu a été décrété. Ainsi, il ne considère pas devoir revenir sur la qualité de la décision
.
Cela dit, il assure que son prédécesseur était bien entouré
, que les consultations
qui devaient être menées l’ont été, et que l’ensemble de la littérature
concernant l’efficacité des couvre-feux a été recueilli en amont de la recommandation de la santé publique.
Surtout, le Dr Boileau insiste pour dire que le gouvernement Legault aurait préféré ne pas avoir à imposer une telle mesure.
Le gouvernement n’a pas fait le choix, selon moi, de dire : « Moi, je veux le couvre-feu. » Ben voyons, ça ne se peut pas… C’est vraiment une recommandation qui a été portée, et avec laquelle on a vécu, et qui a été retirée rapidement. Et regardez, ça va très bien maintenant
, a-t-il conclu.
Avec la collaboration de Thomas Gerbet