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La congestion des urgences ne date pas d’hier – L’Actualité

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PHOTO: iStockPhoto

Depuis près de 50 ans, la situation ressemble à un disque rayé. Les gens sont frustrés de la congestion dans les urgences québécoises, bien que leur fonctionnement se soit tout de même beaucoup amélioré. Petit cours d’histoire signé Alain Vadeboncœur.

191 % ! 236 % ! Et même 260 % ! Ce sont les taux d’occupation de certaines urgences ce matin. Le pourcentage représente le nombre de patients couchés sur le nombre de civières « permises ».  Bref, ça déborde (bien que certaines urgences soient parfois « trop petites ») de patients en attente d’un lit, parce qu’il manque de places dans l’hôpital pour recevoir des patients très malades.

Mais ce n’est pas nouveau, me direz-vous. Comme souvent, le mois de décembre a été rudement vécu dans les urgences, alors que plusieurs sont très congestionnées en raison de la montée de la grippe, et l’année commence en lion.

En fait, ce qui est le plus surprenant, c’est que chaque fois, tous les débuts de janvier, on paraît surpris. Pourtant, ce n’est pas d’hier que les urgences québécoises sont encombrées. On devrait plutôt être surpris de la persistance du problème, qui fait partie de notre petite histoire depuis… 60 ans !

Dès les années 1960

En effet, à la suite de la mise en place de l’assurance hospitalisation, en 1961, on constate déjà une affluence accrue dans les urgences. Ce qui n’est pas non plus surprenant : les examens de laboratoire et l’imagerie médicale sont alors couverts par l’assurance maladie dans les hôpitaux — mais les frais des médecins ne le sont pas encore. De sorte que les patients se présentent notamment à l’urgence pour passer des tests ou sont dirigés par leur médecin de famille à cette fin.

Après l’avènement de l’assurance maladie, en janvier 1971, il n’y a plus de frais pour les médecins non plus. Et ça va de mal en pis dans les urgences. Pour qui aimerait regarder un document visuel éloquent de l’époque, je suggère le film fort intéressant À votre santé, du cinéaste Georges Dufaux, qui montre les difficultés de la situation de l’urgence de l’hôpital du Sacré-Cœur au début des années 1970.

Image tirée du film À votre santé (Photo : site de l’ONF)

À l’autre bout de l’île de Montréal, l’urgence de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont fait d’ailleurs les manchettes. En 1971, comme on peut le lire dans l’excellent livre Histoire de la médecine au Québec 1800-2000, la situation y est jugée « dramatique ». Pour tenter de juguler le problème, on organise des campagnes « d’informations et de publicités afin de renseigner le public et de l’orienter vers une utilisation rationnelle et circonstancielle des services d’urgence ». Ce n’est donc pas d’hier qu’on lit des appels dans les médias, lancés pour essayer de rationaliser l’utilisation de l’urgence et orienter les patients vers la première ligne.

Autre exemple, l’hôpital du Sacré-Cœur de Hull connaît aussi une crise en décembre 1972. L’urgence « est à ce point bondée que les ambulanciers, faute de lits disponibles, sont contraints d’asseoir les patients dans des fauteuils roulants alors qu’ils devraient être étendus ». En 1973, on observe d’ailleurs de tels débordements des urgences partout au Québec.

Le problème de délais d’accès aux civières des urgences congestionnées est encore présent dans beaucoup d’urgences, ce qui pose des dangers certains, puisque des patients malades qui devraient être surveillés n’y ont pas accès.

Les solutions ne sont pas nouvelles !

En 1974, un comité est mis sur pied par le ministère des Affaires sociales du Québec afin d’étudier le « système de services d’urgence ». On y souligne notamment que « le rassemblement dans un même lieu des cas d’urgence réels, des cas d’urgence mineurs, des cas de consultations externes et des cas de “follow-up” engendre un engorgement et un mode de fonctionnement inefficace et peu rationnel des services d’urgence et des établissements. Cet état de fait provoque chez tout type d’usager un sentiment légitime de frustration, doublé d’un diagnostic sévère à l’égard du mode de dispense des soins. »

Le problème, c’est que parallèlement, la population s’est accrue, qu’elle a vieilli, et qu’elle est surtout de plus en plus touchée par des maladies chroniques, pour lesquelles la première ligne est encore plus ou moins efficace. Il est donc probable que malgré des améliorations dans le fonctionnement de la première ligne, des urgences et des hôpitaux, on observe une stagnation des résultats (qui auraient été bien pires si rien n’avait été fait).

Une série d’actions

C’est en 1986 qu’est institué le premier plan majeur de décongestion des urgences, mis en place par la ministre Thérèse Lavoie-Roux. À partir de 1986, le Ministère consacre ainsi plus de 476 millions de dollars en quelques années pour la mise en œuvre d’un premier vaste « plan de désengorgement des urgences », très bien reçu et sur lequel on fonde beaucoup d’espoirs. Le Ministère conclut, en avril 1988, que « la plupart des mesures étaient implantées, et ce, en conformité avec le plan initial ».

Article de La Presse du 21 mars 1986 à propos du plan Lavoie-Roux (Source : www.banq.qc.ca)

Mais, ô surprise, le ministre Marc-Yvan Côté constate, en 1990, la persistance du problème et annonce à son tour un train de mesures, comprenant la création du Groupe tactique d’intervention (GTI), constitué d’experts du domaine et présidé par un urgentologue, le Dr Michel Tétrault.

Ce GTI a notamment pour mandat « de se rendre dans tous les services d’urgence présentant des problèmes d’engorgement, de mettre en lumière les problèmes d’organisation, de fonctionnement des urgences, d’étudier les politiques et procédures d’admission et de gestion des lits hospitaliers ».

Le GTI connaît un certain succès. Perçu comme une « police des urgences », il contraindra les hôpitaux à améliorer le fonctionnement de leurs urgences et à mettre en place un certain nombre de mesures, comme les coordonnateurs de soins, pour améliorer la situation. Mais il engendrera aussi son lot de résistances, en raison de son approche directive et du contexte des compressions, qui rendent difficile la résolution de problèmes complexes.

Un des grands intérêts des travaux du groupe tactique est également d’analyser, de formuler et de proposer une série d’améliorations basées sur les faits et les données pour améliorer les choses dans plusieurs milieux. Son intéressant bilan est déposé à la fin des années 1990.

Bilan du Groupe tactique d’intervention du MSSS.

Les années 2000

Après le virage ambulatoire du ministre Jean Rochon, qui concerne moins les urgences, c’est au tour de la ministre Pauline Marois de mettre en place, en octobre 1999, le premier Forum des urgences, qui regroupe plus d’une trentaine d’organisations et qui vise à relancer l’action.

On y élabore un plan d’action comprenant une mission des urgences, un triage universel, la création d’un comité d’experts chargé d’accompagner les établissements et la rédaction d’un guide de gestion des urgences, où seront regroupées les connaissances de gestion des urgences.

Plan d’action issu du Forum sur la situation dans les urgences d’octobre 1999. MSSS.

Mais dans les années 2000, l’affluence continue d’augmenter dans les urgences, de même que le vieillissement des patients qui consultent, et en conséquence, la durée des séjours sur civière, à ne pas confondre avec l’attente pour voir un médecin.

Le gouvernement libéral première mouture, avec les ministres Philippe Couillard puis Yves Bolduc, s’attaque lui aussi au problème, investissant par exemple régulièrement des sommes en hiver pour augmenter la capacité d’hospitalisation, en travaillant au regroupement des établissements et en concevant des outils d’analyse plus précis.

Il faudra attendre le ministre Gaétan Barrette pour voir un nouveau mouvement d’amélioration ces dernières années. Renouant avec une approche directive et un suivi, disons, très personnalisé de chaque hôpital, le ministre fait pression sur les établissements pour diminuer la durée des séjours sur civière, ainsi que sur les médecins, pour améliorer les temps de réponse aux consultations à l’urgence.

Conséquence, les durées de séjour finissent par s’améliorer, notamment par un partage salutaire de la pression du débordement dans tout l’hôpital, surtout en 2017. Cependant, la pression (du ministre) ayant été retirée à partir de 2018, quand le ministre s’est vu retirer le pouvoir d’application de ses lois 120 et 130, les chiffres de durée de séjour ont recommencé à monter légèrement.

Des leçons à en tirer ?

Quand on regarde avec cette perspective historique le phénomène de la congestion des urgences, on constate d’abord la persistance du problème. Au fil des ans, certaines réflexions ont permis de mieux baliser le problème et les solutions à apporter, qui ne sont toutefois pas toujours évidentes à mettre en pratique, surtout dans les périodes où il y a parallèlement des compressions qui empêchent d’investir.

On a parfois mis l’accent sur l’aval (les capacités d’hospitalisation, les ressources externes, les soins prolongés, les soins à domicile), parfois sur l’amont (la coordination de la première ligne, l’accès aux médecins de famille, etc.), et parfois dans les urgences elles-mêmes (accès aux consultants, aux tests diagnostiques, fonctionnement des urgences, etc.), selon les ministres des diverses époques.

Au moins à deux reprises dans l’histoire, soit au moment des interventions des années 1990 du GTI et de celles du ministre Gaétan Barrette, on a agi de manière très directive avec les hôpitaux pour qu’ils donnent la priorité à l’amélioration de la situation à l’urgence.

Force est de constater que la congestion des urgences perdure, ce qui n’est pas surprenant, étant elle-même le résultat des problèmes de l’ensemble du système, notamment les difficultés d’accès et d’intégration de la première ligne et le manque de lits d’hospitalisation, problèmes que j’ai abordés dans un billet récent.

Comme régler le problème des urgences requiert d’agir sur le système en entier, il est assez probable que lorsque je prendrai ma retraite de la médecine d’urgence, le problème ne sera toujours pas résolu.

En attendant, la ministre Danielle McCann doit faire comme chaque année : investir maintenant pour ouvrir des lits d’hôpitaux supplémentaires et dégager certaines capacités d’accueil dans les ressources de rechange à l’hospitalisation.

À long terme, il reste à travailler fort pour tenter d’améliorer les choses, et surtout, à continuer de faire de notre mieux pour bien soigner dans un environnement où la congestion fait partie des meubles.

Bon courage ! Tant aux patients qu’au personnel et aux médecins, d’ailleurs !

SOURCE: L’actualité