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Covid-19 : isolement, angoisse, pulsions suicidaires… l’alarmante détresse des 18-24 ans – Le Parisien

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Par Maïram Guissé 
Le 28 janvier 2021 à 06h11, modifié le 28 janvier 2021 à 06h22
 

« Pour être honnête, des pensées suicidaires, j’en ai, oui… C’est même devenu quelque chose d’assez normal pour mes potes et moi. » Tout en refermant instinctivement la porte de sa chambre, pour ne pas « inquiéter [ses] parents », Arnaud, 21 ans, reprend : « c’est terrible de dire ça, mais c’est vrai, il y a ce truc d’autodestruction. » Jamais, cet étudiant en troisième année de faculté en biologie et informatique, en double cursus, à l’Université d’Évry (Essonne), aurait pensé être un jour être en détresse psychologique.

 

D’ailleurs, il s’en veut d’être dans cet « état », répète comme pour s’excuser, dans un sourire gêné : « Je ne me sens pas légitime à me plaindre, parce que moi au moins je n’ai pas de problème financier, j’ai pu retourner chez mes parents (NDLR : dans un village du Vexin dans le Val-d’Oise) où j’ai une chambre ».

C’est dans cette chambre, d’environ 10m², qu’Arnaud passe « 95 % » de son temps, à tenter de suivre ses cours en distanciel. « J’ai du mal à rester concentré », concède-il, assis devant son bureau installé, à quelques pas de son lit, face à un mur. « Aujourd’hui [lundi] au moins, j’ai réussi à me lever ». Il rit. « Je ne sais pas comment expliquer ce que je ressens, lâche-t-il tout en cherchant ses mots. C’est dur. »

Le monde d’avant lui manque. Celui où sa routine était installée. « J’étudiais, j’allais à la BU (bibliothèque universitaire). A côté de ça, je faisais du sport, sortais avec mes amis, ma copine… bref une vie d’étudiant normal. » Aujourd’hui, il n’arrive plus à se projeter. « Je me demande ce que va valoir mon diplôme. Avant, j’avais de bonnes notes, maintenant je vise la moyenne et je peine à l’atteindre. » La raison le pousse à s’accrocher, « mais avec les potes, on ne voit pas le bout du tunnel, on se dit que c’est fichu pour nous, alors ça donne envie de tout envoyer valser ».

Au deuxième confinement, il a fini par flancher

Si lors du premier confinement, il a « tenu le coup », se disant que « cette crise allait se terminer », le deuxième confinement a fait flancher son moral. « Je n’arrivais plus à rester devant mon ordi de 8h30 à 18h30 pour suivre les cours. J’étais tout le temps distrait. J’ai fini par me lever à midi pour me coucher vers 4 ou 5 heures du mat. Je passais mon temps à regarder des vidéos sur mon téléphone, à mater des séries ou à jouer en ligne… petit à petit, j’ai décroché ».

Fini le sport, « j’ai pris 5 kg », lance le jeune homme à la silhouette élancée, féru de cinéma et de voyages, en témoignent les billets d’avion accrochés sur un de ces placards, entre des figurines comics et Polaroid où il pose heureux avec sa moitié. Voir sa sœur « aller au lycée », et ses parents « au travail », l’interroge. « Pourquoi eux peuvent continuer à vivre? On nous a fait revenir pendant les exams dans des amphis blindés de monde, sans distanciation, comment on explique ça? ». Il s’arrête, sourit et lâche : « Bon, c’est abusé ce que je vais dire, mais j’en suis au stade où je veux juste que les cours reprennent et tant pis pour le Covid ». Il se reprend : « Je ne devrais pas dire ça, mais je le pense. »

 

Retourner sur les bancs de la faculté, Marie (NDLR : le prénom a été modifié), étudiante en dernière année d’étude paramédicale, à la Sorbonne (Paris VIe) en rêve. A 24 ans, « normalement bientôt diplômée », elle vit mal l’isolement dans laquelle elle se retrouve. « Ça fait un an que je n’ai pas eu un seul cours en présentiel, le dernier remonte à trois semaines avant le premier confinement », explique cette élève boursière depuis cette année, habitante d’un « petit studio de 10m² » en banlieue.

«Nous allons payer le Covid toute notre vie»

Il a fallu du temps à Marie, en stage deux jours par semaine dans un hôpital où elle « gère des patients Covid » avant de comprendre qu’elle était en détresse psychologique. « Un jour, mon maître de stage m’a fait remarquer que je maigrissais. J’ai perdu 6 kg, explique la longiligne jeune femme à la chevelure châtain. Manger, c’est dépenser de l’argent or j’en n’avais pas, ma bourse a mis du temps à arriver, donc il fallait choisir quel repas prendre… » précise l’étudiante, d’un naturel « à me laisser aller, mais là mentalement c’est dur. On est une génération sacrifiée, avec des diplômes qui n’auront peut-être pas de valeur, et nous allons payer le Covid toute notre vie ».

Marie s’accroche, fait désormais partie du collectif « suicide étudiant ». « J’ai été affectée par le suicide de Sinega (NDLR : étudiante en première année de médecine qui a mis fin à ses jours le 13 janvier) même si je ne la connaissais pas, souffle celle qui nous a donné rendez-vous dans une gare parisienne. On veut permettre aux étudiants de nous contacter via Twitter, leur dire qu’ils ne sont pas seuls, et de les rediriger vers des personnes qui peuvent les aider, explique Marie. On entend qu’on ne doit pas se plaindre, qu’on est des privilégiés, qu’en 39-45 c’était pire… mais on n’a pas à culpabiliser d’être mal, on n’a pas à culpabiliser de vouloir vivre notre vie. »

Dans une ville de l’Essonne, Élisabeth se demande-elle toujours si sa fille, Sonia, 17 ans, en licence 1 ingénierie, s’est suicidée ou s’il s’agissait d’un accident domestique. Ce dont elle est certaine, c’est de la « détresse psychologique dans laquelle était Sonia. Elle avait eu du mal à ressortir après le confinement. Quelques semaines avant, lors d’un partiel, elle était très stressée et s’était scarifiée, ça n’était jamais arrivé avant », insiste-t-elle, assise dans l’appartement où les photos de Sonia s’affichent. Les étudiants aujourd’hui racontent aussi l’histoire de Sonia. Elle exhorte : Il est nécessaire de les écouter, de les entendre. »