PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE
CHRISTIAN DUFOUR
POLITICOLOGUE ET
AUTEUR
Cela a été le pourcentage et la déclaration de trop. Quand le docteur Horacio Arruda et d’autres experts ont avancé qu’il fallait désormais que 95 % des Québécois soient vaccinés contre la COVID-19, le directeur de la Santé publique n’écartant pas que les mesures sanitaires soient là en permanence.
Cela confirmait ce que je craignais dans La Presse en février : l’implantation définitive dans notre société, sous les applaudissements de la plupart, d’une nouvelle idéologie sanitaire faisant passer systématiquement la sécurité avant la liberté.
Peur de vivre
Alors qu’on nous disait au départ que tout reposait sur la nécessité de sauver des vies, presque personne n’ose plus attirer l’attention sur le fait que la COVID-19 fait désormais peu de morts, 90 % des citoyens les plus vulnérables étant doublement vaccinés.
Le but premier est de protéger notre irréformable système de santé d’un variant Delta menaçant les jeunes non pas de mourir, mais d’être malades. En attendant d’autres variants potentiellement plus dangereux et résistants aux vaccins : Epsilon, Zêta, Êta… Sans parler du reste de la planète où la vaccination souvent tarde.
L’approche québécoise de cette crise comporte quelque chose de foncièrement malsain parce qu’elle est basée sur l’absurdité du risque zéro, elle est basée sur la peur de vivre.
On l’a encore vu la semaine dernière au sujet du passeport vaccinal qui entre en vigueur au Québec aujourd’hui et plus en tard en Ontario, et dont il faut rappeler qu’il n’est pas justifié par des motifs avant tout sanitaires.
Il n’a pas fallu 48 heures pour qu’il soit à nouveau clair dans cette affaire que l’obsession de la sécurité l’emporte désormais sur la liberté au Québec.
Le caractère simple d’un passeport facile à utiliser pour les citoyens et les commerces a comme contrepartie de le rendre plus aisé à contrefaire. Ce qui a immédiatement provoqué des demandes indignées pour le rendre plus sécuritaire, mais aussi plus complexe, à la satisfaction des bureaucrates et des sanitaristes, mais au détriment de la facilité à circuler, tout particulièrement pour les personnes âgées.
Quelle ironie que ce soit en partie l’animosité à l’égard de ces Québécois non vaccinés « nous empêchant de revenir à une vie normale », qui nous éloigne dans les faits d’une vie normale !
Libarté !
Que les Québécois soient en général satisfaits de la gestion de crise très prudente du gouvernement Legault n’a rien d’étonnant. Il n’en va pas de même de ces intellectuels incapables de voir que la préservation des libertés est incontestablement l’un des grands enjeux auxquels sont confrontées toutes les démocraties libérales à notre époque.
Comment oublier l’impact implacablement liberticide de l’expansionnisme chinois, combiné à la généralisation de technologies numériques permettant de contrôler n’importe qui, n’importe où, à n’importe quel moment ? Sans parler de cette culture du bannissement (cancel culture) remettant fondamentalement en cause la liberté d’expression.
Cela n’empêche pas le mot même de liberté d’être rabaissé de façon indigne dans ces milieux bon chic bon genre où on ne parle plus, en ricanant, que de libarté, réduisant cette cruciale valeur de civilisation à une lubie de colons complotistes.
Il s’agit en fait de l’une des caractéristiques de la façon dont la crise est vécue ici. Que l’observation des consignes sanitaires y soit la règle, que le phénomène des complotistes y soit objectivement marginal, n’empêche pas de continuer à associer automatiquement toute critique à ces derniers.
Pour une idéologie sanitaire devenue hégémonique, l’accusation d’être un complotiste est devenue l’équivalent de celle d’être un hérétique pour le dogme catholique d’antan.
Souveraineté impossible
Cette crise constitue un puissant révélateur de ce que nous sommes. Après ce qui apparaît parfois comme une parenthèse historique de 60 ans appelée la Révolution tranquille, émerge à nouveau une société étonnamment conformiste et craintive, porteuse d’un unanimisme qui n’est pas sans rappeler, par moments, l’ère Duplessis.
On en a été rendu au point où, l’année dernière, c’est cette « infâme radio populaire de Québec à faire taire (sic) » qui, malgré ses dérives, a montré que nous vivions encore dans une démocratie libérale, presque seule voix dissidente dans le concert moutonnier des applaudissements de tous les autres.
Il est une autre leçon que devraient méditer ceux qui croient en la nécessité de la souveraineté pour le Québec. C’est qu’alors que notre nation a manifesté son existence ces derniers 18 mois comme rarement au cours de son histoire, elle a en même temps montré qu’elle n’avait pas ce qu’il fallait pour sortir du Canada.
Un peuple qui fait passer à ce point la sécurité avant la liberté ne peut pas devenir indépendant.